Déchets franco-allemands

L’atome des rails

Du 5 au 9 novembre dernier, le Castor, dit aussi le « train de l’Enfer » avec ses 154 tonnes de déchets vitrifiés provenant de La Hague, s’est traîné vers le site de stockage de Gorleben, en Allemagne. Le long du parcours, des militants antinucléaires ont retardé ce funeste charroi.
par Camille

« Hau ab ! Hau ab ! »1 À la vue des premiers flics, le cortège joue l’intimidation : 5 000 personnes qui hurlent, soutenues par l’écho de la forêt, et la région du Wendland prend des airs d’Astérix chez les Goths. L’aube se lève à peine, et voilà déjà une heure que les militants antinucléaires marchent à travers champs. Les premières fusées claquent dans le ciel, les drapeaux virevoltent. « Il faut se dépêcher, resserrez les rangs ! » Tous sentent qu’ils approchent des rails. Tout à coup, ils se mettent à courir. Les premières lignes repoussent les casqués, un bouclier de paille autour du bras. Et le reste du groupe se jette sur la voie de chemin de fer pour retirer le ballast. Rapidement, les premiers coups de matraque tombent et le gel au poivre finit le boulot. S’ensuivront plusieurs heures de barricades en bois, de vaines percées des lignes policières et de courses-poursuites dans la forêt. C’est que les schmits de l’atome ont sorti le grand jeu : blindés, canons à eau, hélicos… La presse allemande annonce 17 000 flics mobilisés et 50 millions d’euros claqués pour assurer l’ordre nucléaire. Mais à force d’opérations façon Blitzkrieg, plusieurs tronçons de la voie seront détériorés, imposant une maintenance qui retardera le passage du train.

Un peu plus tard, dans la soirée, un sit-in de plusieurs milliers de personnes, organisé par les habitants du coin, bloque le convoi. Presque toutes les générations sont représentées et dorment sur les rails malgré un froid de castor, recroquevillées sous des couvertures de survie ou autour de feux. Les camions sono aident à patienter. « Soupe chaude ! Café ! », proposent les paysans. « La police cherche un représentant pour négocier une sortie de crise ! », plaisante-t-on au mégaphone. Mais au bout de quelques heures, ladite police évacue les pacifistes, les traînant vers le champ d’à côté transformé en geôle à ciel ouvert2. Dans la ligne de mire de canons à eau, 1 300 personnes resteront parquées dans le froid jusqu’au passage du train, au petit matin.

Autour de Gorleben, la lutte antinucléaire est très populaire. Toutes les maisons arborent fièrement un grand X jaune, symbole du refus de ce Tchernobyl à roulettes. À l’aide de tracteurs, chaque bourgade organise son piquet pour barrer la route aux camions des forces de l’ordre. « Certains policiers n’ont pas été relevés avant quarante heures à cause de nous », se marre un villageois. Il faut dire que depuis 1995, Gorleben est la poubelle atomique de l’Allemagne. L’industrie nucléaire y entrepose des déchets vitrifiés hautement radioactifs en attendant de les faire patienter quelques milliers d’années dans une couche géologique de sel. Et ça, les anti-Castor allemands n’en veulent pas. Et le font savoir !

Difficile alors de ne pas comparer avec les actions menées de ce côté du Rhin, où la quête de couverture médiatique, les cyberpétitions et l’interpellation de mairies abandonnent le combat antinucléaire aux mains de journalistes et d’élus. Ici, il est impossible de faire ne serait-ce qu’un simple relevé indépendant ! À La Hague, la préfecture avait autorisé l’Association pour le contrôle de la radioactivité de l’Ouest à balader ses compteurs Geiger aux abords du train à l’arrêt, mais la SNCF s’est arrangée pour lui en interdire l’accès. L’Agence internationale de l’énergie atomique autorisant des émissions de radiations mille fois supérieures aux doses naturelles lors de ces transports, il y a de quoi avoir les jetons quand le Castor au curie roule un samedi après-midi en plein Strasbourg… Le Groupe d’actions non violentes antinucléaires tentera de sauver l’honneur hexagonal avec son blocage quasi sacrificiel, le payant de deux tendons sectionnés par les disqueuses policières, de brûlures au troisième degré, de 15 000 euros pour éviter la détention, et d’un procès qui s’est tenu à Caen le 8 décembre. Mais courage ! Le mouvement antinucléaire français a deux ans, avant le prochain acheminement de déchets vers l’Allemagne, pour s’étoffer. Et se perfectionner dans l’attaque de train…


1 « Dégagez ! Dégagez ! », en allemand.

2 Un procédé importé quelques jours plus tard place Bellecour, à Lyon.

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1 commentaire
  • 13 octobre 2014, 09:55, par lou

    Excellent !