Lutte contre la fraude sociale
L’arrêt maladie, voilà l’ennemi !
« Ainsi donc, les projets de diminution du montant des indemnités journalières (en calculant celles-ci sur le salaire net) ou d’allongement du délai de carence ne suffisent pas au gouvernement, il veut aller plus loin dans l’abject. Il s’apprête à demander aux médecins-conseils d’endosser encore plus le rôle de policier de l’Assurance maladie et de verbaliser les malades dont l’arrêt maladie serait, à leurs yeux, injustifié. […] Cette mesure est profondément injuste, arbitraire, ignorante de ce qu’est l’exercice de la médecine. » C’est en ces termes choisis que le Syndicat de la médecine générale a réagi aux dernières mesures gouvernementales pour lutter contre la sempiternelle inflation du poste des indemnités journalières1 : plus 5,1 % en 2009, plus 3,9 % en 2010. Augmentation insupportable, surtout quand le chiffre (erroné, cf. CQFD n°53) de 11 à 13 % d’arrêts maladie abusifs est martelé sans cesse au populo. En ces temps d’austérité généralisée et de lutte contre la fraude sociale, c’est à se demander ce que font les contrôleurs de la Sécu ! Ben justement, ils fliquent.
Industriellement. À peu près deux millions d’arrêts maladie sont épluchés tous les ans par les médecins-conseils des contrôles médicaux. Les malades sont convoqués en masse, au besoin par téléphone pour gagner du temps sur les délais postaux, et les médecins « gros prescripteurs d’arrêts maladie » mis sous entente préalable – entendez par là que leurs prescriptions sont soumises à validation de la Sécu. Et comme tout ceci ne suffit pas, les caisses primaires mettent en place des « observatoires d’indemnités journalières » afin de piger pourquoi tous ces gens craquent moralement ou se cassent le dos au boulot.
Dans les officines de la Sécu, le mot d’ordre est donné : remettre un maximum de gens au travail ! Alain2, médecin-conseil, en témoigne : « La question n’est pas de savoir si des gens font semblant d’être malade pour ne pas aller travailler. Ça a toujours existé et il y en aura toujours. La question est de savoir si la fraude augmente. Or, il n’existe aucune étude sérieuse sur le sujet. Ce que l’on sait c’est que, malgré tous nos contrôles, les arrêts maladie augmentent, qu’il y a une explosion des lombalgies et des dépressions, et que les médecins libéraux sont de plus en plus confrontés à des gens en grande souffrance au travail. Dans les contrôles médicaux, c’est la pensée unique : le malade est devenu un fraudeur en puissance et son prescripteur aura pêché par complaisance. Or les chiffres des arrêts abusifs sont bidouillés. Actuellement on donne des avis médicaux défavorables pour des gens qui ont repris le travail avant notre convocation ! » Que cible une telle pratique si ce n’est le gonflement des arrêts abusifs ? Gangrenés jusqu’à l’os par la politique du chiffre, les contrôles médicaux de la Sécu sont rentrés dans cette logique absurde : pour sauver notre système de soins de ses déficits abyssaux, il suffit de se débarrasser des malades. Alain, toujours : « Aux réunions de service, le chef nous montre des tableaux par départements et il se fait un point d’honneur à stimuler les médecins-conseils, à les mettre en concurrence pour qu’ils fassent un maximum d’avis médicaux défavorables ! »
Christian Lehmann, médecin généraliste à Poissy (Yvelines), décrypte : « On le sait, la plupart des médecins et des patients ont un comportement éthique. Cette politique de la peur vise à installer le doute chez des Français attachés à la Sécu. Imagine : j’écoute les infos, j’entends qu’il n’ y a que 2 % d’arrêts maladie injustifiés, je me dis que le système fonctionne à 98 %, ce qui est bien. Mais si le chiffre annoncé monte à 13 %, si on te répète à longueur d’antenne que plus d’un malade sur dix fraude la Sécu, alors, là, ça ne va plus. La population n’est plus d’accord pour financer un tel système. Et en la désespérant d’une Sécurité sociale solidaire, tu la prépares peu à peu à basculer vers des assurances privées. »
Invité de BFM-TV le 16 novembre dernier, Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et membre de l’UMP canal Droite sociale (sic !), déclarait : « Si jamais, quand vous tombez malade, cela n’a aucun impact sur votre indemnité et votre salaire, ce n’est pas très responsabilisant. Du coup, on a un peu l’impression que la Sécurité sociale est quelque chose sur lequel on peut tirer sans qu’il y ait un impact. » Tu as raison, Lolo, tire sur l’ambulance. Ça fera toujours quelques malades en moins dans les statistiques.
1 Le revenu versé par la Sécurité sociale en cas d’arrêt maladie pour compenser la perte de salaire.
2 L’anonymat a été requis.
Cet article a été publié dans
CQFD n°95 (décembre 2011)
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Paru dans CQFD n°95 (décembre 2011)
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 23.01.2012
Dans CQFD n°95 (décembre 2011)
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23 janvier 2012, 20:19
Oui. On nous explique que les retraités, les malades, les chômeurs, vivent sur le dos des salariés qui taffent, et aussi que les employés cherchent à profiter honteusement du travail lorsqu’ils ont « la chance » qu’il leur soit (offert}, sont des parasites ; tous traitres à l’intérêt général, eh bien oui, disons le tout net : NOUS NE DEVONS RIEN, NOUS VOULONS VIVRE LIBRES, ET LES MOYENS DE LE FAIRE !
Dans camarades il y a trois fois A, et celui là ils ne nous l’enlèveront pas :
Ni honte, ni dette, ni culpabilité, s’organiser !
24 janvier 2012, 00:42, par Tonio
Bravo pour le triple A de cAmArAde !
23 janvier 2012, 20:21
À pôle emploi, 15% d’absentéisme, pourquoi ? Une syndicaliste de cette taule l’explique très bien : Pôle Emploi : La violence et l’ennui