Hommage à un musicien engagé
José Mario Branco : plus vivant que jamais
Né à Porto en 1942, José Mário Branco s’affirma, très jeune, comme militant antifasciste. S’opposant au régime dictatorial de Salazar et aux guerres coloniales portugaises, il fut contraint de se réfugier en France. C’est donc en tant qu’exilé qu’il participa aux agitations de Mai-68, avant d’enregistrer ses premières chansons politiques.
Si José Mário Branco n’a jamais réussi à changer la société, il a révolutionné la musique portugaise en apportant une conception nouvelle des arrangements. Au Portugal, la production de disques se limitait jusque-là à un enregistrement d’instruments séparés qui, une fois mixés, trouvaient un équilibre sonore qui dépassait rarement la simple balance de niveaux entre instruments. José Mário Branco, lui, considérera le travail de studio comme une vraie expérience, y apportant notamment des ambiances sonores captées en extérieur. Son premier disque, Mudam-se os Tempos, mudam-se as Vontades (« Les temps ont changé, les volontés aussi »), sorti en 1971, débute ainsi par une captation de l’arrivée d’immigrés portugais et espagnols à la gare d’Austerlitz – qui finit par fusionner avec un accordéon mélangeant une mélodie traditionnelle portugaise à la musette française.
Pour la première fois au Portugal, ceux qui ont réussi à recevoir clandestinement ses différents disques enregistrés au château d’Hérouville1 ont pu entendre des instruments nouveaux, tels des pioches d’ouvriers immigrés venant rythmer les paroles du titre « Por terras de França » (« Par les terres de France ») sur l’album Margem de Certa Maneira en 1972. Ce disque est un concentré d’influences diverses : d’une part les recueils de l’ethnomusicologue Michel Giacometti, d’autre part les chants engagés du compositeur communiste Fernando Lopes-Graça, sans oublier des accélérations et distorsions empruntées au rock anglais.
Musicalement, José Mário Branco n’hésitait pas à déranger et à casser les conventions, par exemple en introduisant la contrebasse dans le fado, genre musical populaire de Lisbonne considéré comme intouchable par les traditionalistes. S’inspirant à la fois de la culture populaire et de la variété, il a toujours su se renouveler, s’inspirant du compositeur allemand Kurt Weil comme d’Eddy Mitchell, des coups de gueule de Léo Ferré comme des symphonies de Maurice Ravel2.
Toute sa vie durant, le musicien resta un résistant politique. En 1974, il retourna au Portugal en 1974 pour participer activement à la révolution des Œillets en militant dans les milieux maoïstes. Membre fondateur du Groupe d’action culturelle – Les Voix de la lutte, il rencontra alors la comédienne Manuela de Freitas via le groupe de théâtre A Comuna (« La Commune ») et avec qui il mettra en scène plusieurs pièces de théâtre brechtiennes.
José Mário Branco ne faisait pas de la musique pour faire de la politique, mais considérait son engagement comme une conséquence de sa condition d’artiste et musicien. Cependant, l’effervescence politique de l’époque, notamment durant la contre-révolution libérale qui a amené à l’avènement de la démocratie parlementaire en novembre 1975 au Portugal, a conduit à beaucoup de ruptures et conflits politiques dont José Mário n’a pas été exonéré.
Et s’il a fini par se distancier de tout parti politique, nombre de formations essayent, depuis sa disparition, de se réapproprier de façon décomplexée – pour ne pas dire désespérée – l’importance sociale de son œuvre. Des hommages qu’il aurait refusés s’il était toujours en vie.
Plus joyeux : les nouvelles générations musicales rock, kuduro et hip-hop portugaises s’inspirent aujourd’hui de José Mário Branco et le citent comme modèle, notamment pour un rap-fleuve composé en 1979 et qui s’intitule « FMI ». Mort, José Mário Branco ? Plus vivant que jamais.
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* Cinéaste et coréalisateur du documentaire Changer de vie, la vie et l’œuvre de José Mário Branco (2014, disponible en DVD sous-titré en français ; pour se le procurer, écrire à l’adresse mudardevidafilm[at]gmail[point]com).
1 Dans le Val-d’Oise. C’est là aussi qu’a été enregistré le célèbre hymne de contestation portugais « Grândola Vila Morena » de Zeca Afonso.
2 Pour les plus curieux, on conseille les albums Mudam-se os tempos mudam-se as vontades (1971), Margem de Certa Maneira (1972), A Mãe (1978), Ser Solidário (1982), Correspondências (1990), Resistir é vencer (2004).
Cet article a été publié dans
CQFD n°184 (février 2020)
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Paru dans CQFD n°184 (février 2020)
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Mis en ligne le 23.03.2020
26 mars 2020, 13:52, par rui mota
Obrigado, Zé Mário !