Enquête
Greenwashing : Des assises de la biodiversité en béton
Au début, on peine à y croire. Bouygues, Veolia, GDF Suez sous la bannière de la biodiversité ? Un coup d’œil au programme des Quatrièmes Assises nationales de la biodiversité de Montpellier des 23 et 24 juin 2014 confirme le ravalement des devantures des aménageurs de territoire. Exit les records de pollution, destructions de milieux naturels ou édifications carcérales, il est désormais de coutume de mettre la chose environnementale à leur crédit. Biotope, « l’entreprise de l’écologie » (sic) dont les compensations1 aéroportuaires n’ont pas fini de faire parler d’elles, ou encore d’obscures entreprises de communication en développement durable seront aussi de la partie, histoire de parler nature et stratégie marketing… Et pour choisir les bons tons de couleur verte, quelques associations ou chercheurs sont également présents.
Ces « Assises » portent en elles les stigmates des promoteurs : on se croirait à une foire-exposition, avec ces VRP avenants, ces affiches clinquantes, ces stands aux éclairages sophistiqués et cette mauvaise musique propre aux publicités automobiles. Lorsqu’on s’engouffre dans les conférences, des hôtesses tirées à quatre épingles s’efforcent de courir là où le journaliste ménager2 distribue la parole. Dans les travées, on parle de services écosystémiques et d’une « fiscalité comme moteur de la préservation de la biodiversité », bref, d’une nature sonnante et trébuchante. Soudain, un économiste crie à l’existence d’un « lobby contre la fiscalité, le paiement des services écosystémiques ». La nature est une valeur, il faut la considérer comme telle à l’image des autres valeurs marchandes, afin que « la France ne prenne pas de retard » dans la grande compétition internationale… A ses côtés, les épiciers de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) approuvent : pour protéger la nature il suffit de lui donner une valeur économique supérieure aux projets qui la menaceraient. Si la préservation de la biodiversité revêt une valeur supérieure à, par exemple, un projet immobilier, il devient plus intéressant, économiquement parlant, de parier sur du capital écologique (via des banques d’actifs naturels telle la CDC) que sur du lotissement. La zone est mise en défense, vendue pour ce qu’elle capitalise en biodiversité, et le lotisseur devient le financier vert que l’on n’osait espérer…
Mais parfois, la grossièreté des raisonnements et l’esbroufe des communicants en environnement laissent percevoir le vide intellectuel de l’ingénierie écologique. Réunie autour des mesures de compensation du contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier, une tripotée d’experts et de conseillers d’Oc’via3 devisent sur le bien-fondé des actions engagées, sans un mot sur les impacts écologiques occasionnés. En l’occurrence, les mesures engagées visent essentiellement à recréer des milieux favorables à un oiseau peu commun, l’outarde canepetière, en finançant les agriculteurs pour le développement de pratiques culturales conformes au bien-être dudit volatile. Devant les gargarismes des instances agricoles, ravies d’avoir trouvé un substitut financier à la production viticole par la production d’outarde, des voix peu consensuelles jettent le trouble parmi ces jardiniers agrestes. Un intervenant impliqué dans la lutte à Notre-Dame-des-Landes (NDDL) – où Biotope, parmi d’autres promoteurs, est impliqué comme faire-valoir de Vinci –, met en avant le fait que « les écosystèmes sont particulièrement complexes et que les mesures compensatoires ne répondent pas à cette complexité ». Le directeur technique de Biotope blêmit à l’évocation de leur déroute au nord de la Loire. Aussitôt le « Monsieur environnement » d’Oc’via lui vient en aide et évoque les premiers résultats de leurs expérimentations, suffisants à ses yeux pour s’assurer de leur maîtrise à refabriquer de la nature. Un cran dans le surréaliste est franchi lorsqu’un conseiller en environnement de Biositiv, filiale de Bouygues, émet l’idée de placer des miroirs le long de la voie ferrée en guise de mesures compensatoires. Cachées ainsi de l’ouvrage ferroviaire, les outardes, voyant la même chose devant que derrière, oublieront tout simplement l’existence du TGV. Sourires gênés de ses collègues, putain, tu nous fous la tehon…
Si les réalisations écologiques de ces bétonneurs par essence semblent relativement vaines, leurs efforts en communication parviennent largement à les hisser à la hauteur de leurs ambitions. Un responsable du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie les exhorte d’ailleurs à délaisser l’appellation de « conseillers en environnement et communication », pour celle, moins équivoque, de « chargé de mission en environnement ». Quelques personnes tiquent à entendre parler Bouygues de sa capacité à « créer de la nature en ville », mais dans l’ensemble, le message passe. D’ailleurs, le temps n’est plus à la glose sur l’impossibilité de remplacer des écosystèmes détruits ; la montée en puissance des outils de compensation, les tentatives de recherches sur la portée éthique de ces dispositifs, repoussent les critiques premières pour entrer de plain-pied dans un capitalisme grossier, où les paysages se jaugent à la caisse enregistreuse et s’arrangent au tractopelle. Il y a peu de dissidence contre ces tenants d’une écologie digérée ; mais quand des « naturalistes » peu sensibles à la modernité de ces discours entreprennent de démonter, filets à papillons en main ou cagoule sur la tête, le projet d’aéroport de NDDL et ses compensations, toute cette fausse logique s’effondre.
« Science écologique sans conscience environnementale n’est que ruine de l’âme », écrivaient les « Naturalistes en lutte » depuis le bocage nantais. Gageons que d’autres pourfendeurs de l’aménagement du territoire amèneront cet adage au fond des réservoirs des pelleteuses et au fronton de ces boutiquiers de la nature !
1 C’est-à-dire les travaux écologiques qui "remplaceront" les milieux naturels détruits.
2 Un journaliste faisant des ménages en intervenant comme animateur rémunéré mais présenté comme étant un journaliste "indépendant". Un drôle de ménage ! (Note du claviste.)
3 Société signataire du partenariat public-privé conclu avec Réseaux ferré de France autour de ce projet pharaonique.
Cet article a été publié dans
CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
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Paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Par
Illustré par Samson
Mis en ligne le 15.10.2014
Dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
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