Dans mon salon

Foir(ad)e de Marseille

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. Plongée dans la foire internationale de Marseille pour ce premier épisode d’une chronique qui proposera chaque mois une plongée en apnée dans l’univers des parcs d’expositions.

Passés les tourniquets de la foire internationale de Marseille, on me file La Provence. Le pape glisse sous mes doigts. Derrière ce torchon, un seul homme, juché en haut de la tour d’ivoire CMA-CGM et à la tête d’un groupe qui candidate pour végétaliser le parc Chanot (parc expo de la ville)1 : Rodolphe Saadé voit tout, achète tout, greenwashe tout.

Dans une piscine symbolisant la mer, originale thématique de la foire, un enfant est tiré par un engin motorisé à travers un labyrinthe de bouées : un karting aquatique. Plus loin, une autre idée : recycler des algues vertes en sacs Carrefour. Je remonte une allée de bateaux échoués sur un trottoir. Suivent des voitures sans permis, jadis utiles aux alcooliques et aux seniors, devenues le moyen de locomotion favori des lycéens friqués des quartiers Sud2. Plus loin, le coin – vide – des assos. Espoir. J’aperçois des enfants affublés de dossards violets. Doute. Ils attendent devant le stand de l’armée de l’air. Espérance. « Vous faites partie d’une asso sportive ? — Non, on est de l’aumônerie de Cannes. » Tentation. Un soldat aux airs de Marlon Brando m’aborde : « Ça vous dirait de survoler Dubaï ? » J’enfile un casque de réalité virtuelle. L’image est pourrie. Abandon.

Sur la terre ferme, des légionnaires encadrent le cadet d’une famille type Manif pour tous qui s’exerce à la mitraillette en poussant des rires sardoniques. Le mistral s’est levé, renversant un olivier en pot qui n’avait pas l’air de pouvoir porter ses fruits, mais ne méritait pas ça. Je mords dans un sandwich au foie gras poêlé à 15 balles. Il est froid. J’ai un haut-le-choeur. On entonne la messe dans le Vélodrome adjacent. Je m’agenouille parmi le public épars du concours Festy Live (sorte de sous-The Voice). « Merci ! La déprime en groupe c’est plus sympa ! » clame un artiste avant de quitter la scène. Éclair de lucidité. Il faut partir. Entre un stand de poker et celui du parc d’attractions OK Corral, je rencontre Zorah, rabatteuse pour Force ouvrière. « Le capitalisme a gagné ? » je lui demande. Acquiesçant avec douceur, elle m’apaise. Zorah travaille au Samu social et collecte des chaussures pour les SDF. « Marseille c’est quoi pour vous ? — Une ville accueillante », qu’elle répond. Rédemption.

Ce samedi 23 septembre, Marseille est une foire qui ne s’arrête pas aux limites du parc Chanot. Sur l’avenue du Prado, une armée de flics repousse des pèlerins. Je rejoins un pote kurde, outré du poids politique de l’Église en France. Il me file un casque de moto. Dans ma main, un nœud marin. « Faire des nœuds, ça détend », m’a-t-on dit sur le stand de matelotage. Le scooter s’arrête face à la – vraie – mer qui s’agite. Accrochés sur un rocher, on boit le sang du Christ, priant, riant pour une tempête à venir.

Par Pauline Laplace

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Cet article a été publié dans

CQFD n°223 (octobre 2023)

Ce numéro 223 inaugure notre nouvelle formule et n’a pas de dossier thématique. Ceci dit, plusieurs articles renvoient à un même thème, celui d’une France embourbée dans ses vieux démons. On y refait l’histoire de la stigmatisation du voile à l’école, on y raconte comment la parole xénophobe la plus crasse s’est libérée autour des arrivées à Lampedusa, on y parle de squats expulsés et d’anti-terrorisme devenu fou... Bref, on passe la France au scalpel et ça pue pas mal. Heureusement tout un tas de chouettes chroniques et recensions viennent remonter le moral !

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