Fichtre !
Et maintenant, le fichage des opinions

Le 4 décembre dernier, en pleine controverse sur la loi « Sécurité globale » et les violences policières, Emmanuel Macron ose déclarer sur Brut : « Je ne peux pas laisser dire qu’on réduit les libertés en France. » Le même jour, une paire de décrets gouvernementaux paraît en catimini au Journal officiel. Repérés par le site NextINpact, ils étendent drastiquement la portée de deux fichiers de renseignement territorial utilisés par la police et la gendarmerie1 – selon le ministère de l’Intérieur, plus de 137 000 personnes y figuraient déjà début novembre.
Première source d’inquiétude : ces décrets augmentent le nombre d’individus susceptibles d’être fichés. Jusqu’alors, les agents n’avaient le droit de collecter des informations que sur les personnes représentant un risque pour la « sécurité publique ». Peuvent désormais être recensées toutes les personnes qui menaceraient la « sûreté de l’État » ou l’intégrité des « institutions de la République ». Des notions floues, ouvrant la voie à un fichage des plus massifs, d’autant que les éventuelles « victimes » et les proches des individus inscrits dans un fichier pourront également y figurer. Autre changement de taille : l’entrée dans ces bases de données des personnes morales (comme les associations) et des « groupements » (par exemple un collectif militant informel).
Pis encore, cette surenchère dans le fichage à tous crins permet de multiplier le type de données collectées. Si jusqu’ici les « activités » politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales étaient déjà susceptibles d’être répertoriées, désormais les forces de l’ordre ont tout le loisir d’enregistrer les « opinions politiques », les « convictions philosophiques [et] religieuses » ainsi que l’ » appartenance syndicale ». Mais aussi les « activités sur les réseaux sociaux », les « habitudes de vie », « les pratiques sportives », les « addictions » ou encore des « données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques »... Cerise sur le gâteau : les procureurs auront désormais accès à toutes ces informations.
« Après les mobilisations contre des mesures régressives et répressives (réforme des retraites et proposition de loi “Sécurité globale”) et après les Gilets jaunes, ces décrets permettent à l’administration de ficher sans retenue des opposants politiques, leurs opinions et convictions et leurs problèmes de santé “révélant une dangerosité particulière” », s’indignent de concert le Syndicat des avocats de France et celui de la magistrature. Afin de faire annuler cette énième nouvelle mesure de surveillance, les deux organisations ont déposé un recours devant le Conseil d’État – au côté de la CGT, FO, la FSU, l’Unef et le Gisti. L’audience s’est déroulée le 23 décembre. À l’heure où ces lignes sont écrites, la décision est toujours en suspens.
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Édit 5 janvier : Quelques jours après l’impression du numéro contenant cet article, le Conseil d’État a validé le lundi 4 janvier l’essentiel de ces décrets gouvernementaux. Youpi...
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Les fichiers Pasp (Prévention des atteintes à la sécurité publique ; géré par la police) et Gipasp (Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique ; géré par la gendarmerie). À noter qu’au même moment, un troisième fichier a été étendu selon des modalités très proches : il s’agit du fichier EASP (Enquêtes administratives liées à la sécurité publique), utilisé dans le cadre d’enquêtes administratives réalisées lors du recrutement de certains fonctionnaires voués à occuper des postes sensibles – magistrat ou maton, par exemple.
Cet article a été publié dans
CQFD n°194 (janvier 2021)
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Paru dans CQFD n°194 (janvier 2021)
Par
Illustré par Clément Buée
Mis en ligne le 05.01.2021
Dans CQFD n°194 (janvier 2021)
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5 janvier 2021, 20:33
Bonjour, Chien rouge !
Il y a pourtant de quoi devenir enragé.
Mais ces gens n’ont personne en face d’eux, alors pourquoi se gêneraient-ils ?