Sur la sellette

Esprit de corps

Au tribunal judiciaire de Toulouse, la salle 4 est celle des comparutions immédiates. On y traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on y entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants » ; on n’y parle pas toujours français et on la quitte souvent pour la prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre chaque mois un instantané.
Une illustration d’Etienne Savoye

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023Le tribunal est en effervescence. Dalil B. comparait pour menaces de mort à l’encontre d’une avocate.
—  Les rapports avec votre ancienne compagne sont mauvais, surtout depuis que vous avez saisi le juge aux affaires familiales pour faire modifier votre droit de visite. C’est dans ce contexte que vous vous êtes emporté et que vous lui avez dit que vous alliez « mettre une rafale » à son avocate et faire sauter son cabinet, résume la présidente.

—  Je regrette vraiment. Je suis tellement fatigué. J’ai un enfant autiste de 2 ans, on passe des nuits blanches… Et des fois j’ai les nerfs qui lâchent. Franchement, ce ne sont que des paroles. Je n’aurais jamais fait une chose pareille. L’air grave, l’avocate menacée explique avoir porté plainte pour des raisons symboliques :
—  Ce qui est insupportable, c’est qu’on touche à la profession d’avocat. Aujourd’hui, c’est moi qu’on menace, mais demain, ce sera peut-être un juge. Or, personne ne doit entraver la liberté de juger.

Son avocat s’avance à son tour à la barre, il intervient aussi au nom de l’ordre des avocats, constitué partie civile :

—  C’est la profession tout entière qui est menacée. Certains ont d’ailleurs payé de leur vie leur attachement à l’État de droit et à la démocratie. Mais je le dis solennellement : jamais nous ne céderons à la peur !

Il demande un euro symbolique pour chacune des parties qu’il représente, et 600 euros pour leurs frais de justice.

Le procureur prend lui aussi l’affaire à cœur :

—  Je veux avant toute chose assurer que le parquet aura toujours une attitude de fermeté contre ceux qui s’attaquent à l’institution judiciaire. Il dit qu’il n’aurait jamais mis à exécution ses menaces, mais qu’est-ce que nous en savons ? Il a neuf mentions sur son casier…

Le magistrat requiert dix mois de prison ferme dont six avec sursis probatoire. Il n’est toutefois pas opposé au fait que la peine soit aménagée. Quand arrive son tour, l’avocate de la défense commence par s’excuser :

—  Quand j’ai été appelée par la permanence ce midi, on ne m’a pas indiqué que la victime était une consœur. Je ne suis pas sûre que j’aurais accepté si j’avais su. Mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle ! Je suis obligée de défendre monsieur, mais je ne veux vexer personne. D’ailleurs je lui ai bien dit : « On fait un métier compliqué, les rapports avec les justiciables sont de plus en plus tendus, on nous manque de respect, c’est déjà suffisamment difficile sans qu’on se prenne ce genre de phrase ! »

Elle finit malgré tout par donner quelques éléments de défense :

—  Pour qu’il y ait menace, il faut qu’on sache que celle-ci va être rapportée. Ici monsieur B. ignorait que son ancienne compagne l’enregistrait et que son avocate allait être informée. Et sa dernière condamnation remonte à six ans. Puisque sanction il doit y avoir, je propose du sursis.

La proposition n’est pas retenue par les juges, qui condamnent Dalil B. à 8 mois de bracelet électronique.

Par La Sellette

Retrouvez d’autres chroniques sur le site :lasellette.org.

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CQFD n°224 (novembre 2023)

Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.

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Paru dans CQFD n°224 (novembre 2023)
Dans la rubrique La Sellette

Par La Sellette
Illustré par Étienne Savoye

Mis en ligne le 17.11.2023