Un autre football est possible

En Italie, un Mondial antiraciste

Chaque été, près de Bologne, se tient une grand-messe du foot plaisir, où les équipes mélangent les nationalités, les genres et les âges. Le vainqueur ? On s’en fout (ou presque).

Attention, le match va bientôt commencer. Les joueurs pénètrent sur le terrain, ils se saluent. Bientôt le moment des hymnes nationaux ? Ah non, plutôt l’heure du bouchon de grappa. À 35° C à l’ombre, c’est vrai que ça tape un peu. Mais ça fait plaisir. Et voici l’échange des cadeaux. Nous, comme on est Marseillais et qu’on s’entraîne dans un parc dénommé le Pharo, on s’appelle les Sardines du Pharo. Alors on offre à nos adversaires des boîtes de sardines et de maquereaux. En retour, on reçoit des écharpes de supporters, des guides de voyage ou encore un médaillon croate de la Vierge... Oh, il ne faut pas être trop regardant : une fois, des Allemands nous ont gratifiés d’une ventouse à déboucher les canalisations !

Bienvenue au Mondiali Antirazzisti, un des tournois de foot les plus inclusifs et relaxants de la planète. Ici, les équipes mixent souvent les hommes et les femmes, les adultes et les minots. Elles viennent d’Italie, surtout, mais aussi de plusieurs autres pays d’Europe. Sans oublier celles, nombreuses, formées de migrants africains, ni celles qui mélangent allégrement tout ce beau monde. Car si on vient passer cinq jours ici, début juillet, à Castelfranco Emilia, entre Bologne et Modène, dans ce grand parc qui accueille aussi la Festa dell’Unità (cousine transalpine de la Fête de l’Humanité), ce n’est pas pour montrer les muscles et gagner à tout prix au nom de l’honneur de son clocher. Mais simplement pour jouer, se rencontrer et blaguer un peu.

Alors trêve de préliminaires, jouons ! C’est parti. Le terrain ? Un grand champ fauché, avec des genres de cages de handball et des rebonds capricieux. Il y en a que ça ne dérange pas : ils jouent à l’anglaise, en mode kick’n’ rush ; balancer le ballon devant avec l’espoir qu’il rencontre une tête victorieuse. En début de tournoi, ces équipes-là, on les maudit : vive le beau jeu, des passes, du style, que diable ! Mais quelques matchs plus tard, quand on rencontre des équipes meilleures que nous, on fait quasiment la même chose… Un peu comme la France à la Coupe du monde  : un contre-attaque fatale, puis tous derrière, et inch’allah ça passera !

Bref, voici la mi-temps. Les matchs durent deux fois dix minutes et sont auto-arbitrés. Il y a bien un référent sur le côté du terrain, mais il passe souvent son temps à fumer des joints, bien calé dans sa chaise au pied du parasol. Il est vrai que le job n’est pas très prenant : il faut juste siffler le début et la fin de la partie, et compter les points. Intervenir, aussi, si le débat footballistique devient trop rugueux. D’ailleurs, pour éviter les accès de violences et réduire l’enjeu sportif, les matchs ne se disputent en totalité que jusqu’aux huitièmes de finale. Après, on passe directement aux tirs aux buts.

Allez, le match reprend. Mais si on changeait les règles ? Il y a quelques années, des copains l’avaient fait : ils proposaient à leurs adversaires de jouer un bout du match de manière différente. Par exemple, en autorisant les spectateurs à assister au spectacle depuis l’intérieur du terrain. Ou encore, en mettant tous les joueurs de champ devant les buts, tandis que les gardiens, seuls au milieu de la pelouse, passaient à l’attaque en un contre un.

Plus que deux minutes. Les joueurs tirent la langue, mais sur le bord de la pelouse, les tifosi chantent de plus belle. Mais qui c’est, celui-là, avec son tambour ? Et celle-ci, au bord de l’extinction de voix ? C’est la bande des Supporters sans frontières. N’importe quelle équipe venue sans copains peut les appeler pour se faire encourager.

Ça y est, le match est terminé. Les joueurs s’embrassent, se félicitent. Les prolongations, ce sera ce soir, et ce sera la fête : concerts, pizzas, prises de parole antifascistes, bière et eau gazeuse bienfaitrice.

Jusqu’au bout de la nuit, les Ultras entonneront leurs chants de ralliement. Depuis notre coin de camping, on essayera de les imiter. Et on se rappellera que si l’UISP (Union italienne du sport pour tous, une association d’éducation populaire) et l’Istoreco (Institut pour l’histoire de la Résistance) de Reggio Emilia ont créé ce Mondiali il y a 21 ans, c’était précisément pour ça  : prouver que des réalités supposées conflictuelles peuvent cohabiter, comme celle des migrants (prétendument dangereux) et celle des Ultras (soi-disant racistes). «  Pari réussi », comme l’a joliment écrit l’ami Laurent d’Ancona1. Le pari d’un football «  qui ne serait pas seulement l’excuse d’un repli sur soi ou d’une virilité mal placée, mais ouvert sur le monde, sur d’autres mondes possibles. »

Clair Rivière2

1 Foot et cliché, journal de l’exposition « Nous sommes foot », Mucem, Marseille, 2017.

2 Je ne devrais pas vous le dire, mais quand même, on en est super fiers… Sur plus de 120 équipes, les Sardines du Pharo sont allées jusqu’en quart de finale !

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Paru dans CQFD n°168 (septembre 2018)
Par Clair Rivière
Illustré par Bertoyas

Mis en ligne le 12.12.2018