L’intro du dossier de février
Des luttes qui défliquent
« Rien ni personne ne pourra étouffer une révolte Tu as semé la graine de la haine, donc tu la récoltes »
2 Bal 2 Neg’, « La Sédition »
Les violences policières – et du même coup les luttes qui s’y opposent – ont connu ces dernières années en France un incontestable regain de visibilité. Depuis 2016, la répression du mouvement contre la loi Travail et surtout des Gilets jaunes a révélé au grand jour la brutalité des forces de l’ordre, jusque-là essentiellement cantonnée aux quartiers populaires. En 2020, le soulèvement Black Lives Matter, après le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd, suscite un écho planétaire, essaimant jusque chez nous au cri d’« ACAB » : « All Cops Are Bastards » (« Tous les flics sont des connards »).
Un nom a incarné cette révolte (au risque parfois d’invisibiliser d’autres cas) : celui d’Adama Traoré, mort le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise). Cette lutte est emblématique à plus d’un titre. Trente ans au moins – depuis l’assassinat de Malik Oussekine par des « voltigeurs » en 1986 – que le permis de tuer des condés n’avait plus connu une telle remise en cause. Assa Traoré, sœur d’Adama et figure de la lutte, est devenue une icône médiatique au-delà de nos frontières, jusqu’à provoquer des critiques sur sa « starification ». Pourtant, même dans une affaire aussi médiatisée, l’impunité policière reste totale : près de six ans après les faits, aucun gendarme n’a été mis en examen, aucun procès ne s’est tenu ni n’est même annoncé. Rien. Au contraire, ce sont les membres de la famille Traoré qui se retrouvent régulièrement sur le banc des accusés, dans les médias comme face à la justice.
L’année de la mort d’Adama, le collectif Désarmons-les recense seize personnes mortes entre les mains des forces de l’ordre françaises. La même source en compte au moins trente-quatre en 2022. Plus du double. Le sujet des violences policières s’est certes (un peu) imposé dans le débat public, mais nous n’avons encore rien gagné, ou si peu, dans nos combats contre l’ordre policier.
Les dominants ne peuvent plus compter pour se défendre que sur des forces de l’ordre surarmées
Pire : le discours pro-police ne recule pas, loin de là. À l’heure de l’extrême-droitisation galopante de la parole publique, politiciens, syndicats policiers et éditocrates s’en donnent à cœur joie. Conséquence de quoi, c’est open bar pour les pandores : 15 milliards d’euros supplémentaires sur cinq ans pour la police et la gendarmerie, arsenal législatif sans cesse renforcé pour leur offrir toujours davantage de pouvoir et d’impunité… On ne s’en étonnera pas : quand tout le monde a compris que le système est à poil, les dominants ne peuvent plus compter pour se défendre que sur des forces de l’ordre surarmées – et dont les joujoux de plus en plus sophistiqués ouvrent la voie à un flicage général assumé.
Pas de bol pour eux, heureusement pour les autres : des chercheur·euses, des militant·es, des collectifs s’activent en ce moment même et depuis un bail, pour faire avancer le long combat anti-keufs. C’est à eux, à leurs luttes et à leurs réflexions, que CQFD a consacré les pages qui suivent.
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« Qu’on ait ou non des griefs personnels à son égard, détester la police est une position politique », écrit Gwenola Ricordeau en introduction du livre qu’elle a coordonné, 1312 raisons d’abolir la police. La militante et chercheuse y défend une abolition pure et simple des forces et du maintien de l’ordre. Et nous invite à cheminer collectivement vers la société qui nous permettra cette abolition.
Ce cheminement est déjà entamé à bien des endroits. Ainsi, des féministes réfléchissent depuis longtemps à une prise en charge des agressions sexuelles sans recourir au système pénal, police en tête. C’est le cas de Zoé, qui témoigne dans nos pages d’une de ces expériences. Pendant ce temps, dans les quartiers Nord de Marseille, des habitants débattent, à l’initiative du militant associatif Mohamed Bensaada, de la légalisation du cannabis. Une manière de réduire les violences liées au trafic et de repenser le rôle de la police dans les quartiers populaires.
Police partout ? Justice complice. Pour les victimes des forces de l’ordre, leurs proches et leurs soutiens, le tribunal est un des terrains de lutte qui accaparent le plus de temps, d’énergie, d’argent. À travers trois affaires et trois paroles, nous revenons sur le soutien logique et quasi sans réserve de l’institution judiciaire à la police, son partenaire au sein du système pénal. Mais aussi sur les stratégies de résistance, afin que ces combats-là viennent nourrir les luttes en dehors.
Cette justice, Aurélie Garand s’y est frottée, elle qui mène un combat acharné et exemplaire contre l’arbitraire étatique depuis que son frère Angelo a été abattu par le GIGN en 2017. Pas un hasard, si, en clôture de ce dossier, nous donnons la parole à cette femme appartenant à la communauté des Voyageurs : les personnes racisées sont les premières victimes des exactions de la police et les femmes en première ligne des luttes pour exiger, selon la formule consacrée, vérité et justice.
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Le samedi 18 mars prochain, une grande marche est organisée par de nombreux collectifs à Paris, trois jours après la journée internationale contre la brutalité policière. Initié il y a douze ans, ce rendez-vous s’est désormais élargi aux luttes contre l’ensemble des violences d’État et le racisme systémique. Le message est clair et déter’ : nous ne combattons pas seulement des policiers, nous combattons les forces de l’ordre ; nous ne combattons pas seulement les forces de l’ordre, nous combattons ce monde.
Cet article a été publié dans
CQFD n°217 (février 2023)
Alors que le mouvement contre la (énième) réforme des retraites s’intensifie, nous ouvrons ce numéro de février par analyse et témoignages... en attendant la grève générale ? Ce n’est pas sans rapport, vu la répression brutale qui a répondu aux dernières grandes mobilisations populaires (loi Travail, Gilets jaunes...) : notre dossier du mois est consacré aux luttes qui défliquent. Huit pages en mode ACAB pour mettre en lumière celles et ceux qui réfléchissent et agissent pour un monde sans police. On revient également, via un long entretien avec le journaliste Rémi Carayol sur le fiasco de la présence militaire française au Sahel. On parle de murs à abattre. Mais ce n’est pas tout... Demandez le programme !
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Paru dans CQFD n°217 (février 2023)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Baptiste Alchourroun
Mis en ligne le 03.02.2023
Dans CQFD n°217 (février 2023)
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