Sur la « carte de la presse pas pareille [1] », la plantureuse Alsace fait grise mine. À côté des sites Internet L’Alterpresse 68 et Rue89 Strasbourg [2], côté papier la chair est triste. Pourtant, le pays de la choucroute a longtemps été pionnier dans le monde des médias alternatifs. Animateur de l’émission « Les Autres voix de la presse » sur Radio MNE, Jocelyn Peyret retrace l’histoire de la presse indépendante alsacienne dans une série de fascicules : « Les cahiers d’Alter [3] ».
[|Klap ’ de début|]
Première étape, le Mulhousien Klapperstei 68, fondé début 1972. Rien moins que le premier canard indépendant d’information locale en France – et le premier à mettre l’écologie au premier plan, avant même la mythique Gueule ouverte. Dans ce domaine, la région est à l’avant-garde, le pouvoir gaulliste ayant implanté sa première centrale nucléaire à Fessenheim, sur la frontière – en pleine zone sismique. Le Klap’ naît précisément en réaction aux mensonges de la presse locale sur l’énorme mouvement anti-Fessenheim – qui trouvera un nouveau souffle avec les proto-Zad victorieuses de Marckolsheim et de Wyhl (Allemagne) en 1974-1975. Pas question de s’auto-ghettoïser : le Klap’ adopte le format et la maquette de la presse locale et défend ardemment la langue et la culture alsaciennes, ultra-majoritaires à l’époque. Ça marche du tonnerre : très vite, le journal fait péter les 8 000 abonnés et débusque quelques lièvres qui lui valent une ribambelle de procès – tout en continuant à couvrir les mouvements sociaux. Féministe, antiraciste et pacifiste, il ouvre une voie, dans une société encore conservatrice.
Très vite arrive son cousin strasbourgeois Uss’m Follik, plus impliqué dans les luttes syndicales – comme le sera aussi Le Cri de la vallée, fondé avec Libération dans l’industrielle Haute-Bruche où les usines ferment les unes après les autres. D’autres titres paraissent dans la Lorraine voisine (à Metz, Nancy ou Épinal), aux destins très variés – avant le grand reflux des années 1980, l’arrivée de la « gauche » au pouvoir et l’institutionnalisation des radios libres qui absorbent un grand nombre de journalistes. Reste une histoire qui annonce la ribambelle de canards « alter » nés dans les vingt dernières années. En Alsace, il ne reste que Pumpernickel, qui pétarade depuis 1995 ses enquêtes et vitupérations dans les ruelles endormies de la bourgeoise Wissembourg. Puisse-t-il faire des petits !
[/Laurent Perez/]