Errorisme

Argentine : Un ennemi intérieur en carton

En 2005, dans la foulée du mouvement social argentin post-carrolito, CQFD avait fraternisé avec une joyeuse bande d’activistes imprégnée d’esprit Dada, l’Internationale erroriste1 – il s’en était même déclaré l’organe provisoire sous nos latitudes ! Treize ans plus tard, l’errorisme n’est pas mort, il vient même de faire beaucoup parler de lui. Chronique d’un surréaliste come-back.

Telle une répétition générale avant son application sanglante avec les Mapuches, gouvernement et médias se sont attaqués au début de l’année dernière à… l’Internationale Erroriste. L’affaire est à la fois risible et très significative. Comme chaque année, le 24 mars, les erroristes ont défilé pour commémorer à leur manière la fin de la dictature. Cette fois, ils s’étaient confectionné des uniformes évoquant le régime nord-coréen un jour de parade, avec un bataillon d’hôtesses de l’air aux brassards ornés du signe inégal (≠) escortant un hélicoptère en carton.

La marche fut joyeuse, les très nombreux manifestants applaudissant la loufoquerie de la petite troupe. C’est qu’un hélicoptère, en Argentine, évoque irrésistiblement celui qui emporta en décembre 2011 le président De La Rua, qui a fui par les airs la Casa Rosada2 pour échapper à la foule. Le coup d’envoi dune période institutionnelle amusante, avec pas moins de cinq présidents en une dizaine de jours, puis – plus important – plusieurs années d’assemblées populaires dans les quartiers, tous unis pour crier « Que se vayan todos, que no quede uno solo »3.

Néanmoins, quand des journalistes télé l’interrogèrent sur la présence de cet hélicoptère dans le cortège, loin d’évoquer cette histoire, le comandante errorista mediano (ni máximo, ni mínimo, mais tout le contraire) répondit : «  Nous avons appris que le président a inauguré une usine d’hélicoptères de fabrication nationale. Nous voulions fêter la création de ces emplois. Il faut encourager le positif ! » L’émission qui a diffusé cette courte interview est l’une des plus regardées du pays – autant dire que tout le monde en a parlé. Et ce fut le début d’un incroyable délire médiatique. Durant plusieurs jours, toutes les chaînes d’information en continu titrèrent sur « le club de l’hélicoptère ». Des analyses dans les journaux les plus sérieux parlèrent « d’hélicoptère destituant ». Et un chroniqueur de Radio Mitre (la plus écoutée du pays) expliqua à sa manière le signe ≠ : il s’agirait d’une croix gammée inversée !

Nos erroristes se retrouvèrent ainsi exposés, photos à l’appui, dans tous les médias, tandis que les journalistes dissertaient à l’envi sur ce que « le gouvernement compte faire face au club de l’hélicoptère ». En octobre, un député de la majorité sortit même un livre intitulé L’année de tous les dangers – Comment le gouvernement a survécu au club de l’hélicoptère, avec en couverture un cliché de notre pauvre hélico en carton et d’une banderole erroriste… La chose serait désopilante s’il n’y avait eu des voitures banalisées postées devant le domicile de certains d’entre nous. L’errorisme n’ayant aucune appétence pour le martyre, personne n’a cherché à contredire quiconque : les cellules erroristes se sont juste rendormies en flippant tout le temps que dura la tourmente.

Au final, une belle œuvre artistique erroriste, presque intégralement produite par le gouvernement argentin et ses médias affidés. Nous en ririons encore si ce n’est qu’entre-temps la même mécanique abracadabrantesque s’est abattue sur les Mapuches, qui luttent pour récupérer une part infime de leurs terres de Patagonie, spoliées par l’État argentin puis bradées à des multinationales telles que Benetton. Cette fois, la farce a tourné au massacre. Les Mapuches, militant pour la reconnaissance de leurs droits, ont été comparés à Daech et présentés comme des alliés à la fois des Farc colombiennes et de « Kurdes d’origine turque liés à la guérilla »4. Décidément, le ridicule ne tue pas... Ou bien si, malheureusement. Parce que ce grand délire a fait des morts. Entre autres victimes, citons le désormais célèbre Santiago Maldonado5, mais aussi Rafael Nahuel, tous deux tombés lors d’interventions policières systématiquement légitimées par ces journalistes aux ordres du gouvernement Macri.


1 Lire « Huit têtes de porc et des chômeurs heureux », CQFD n° 13 ; « Le jour où l’argent supprima l’Argentine », CQFD n° 25 ; « La menace erroriste », CQFD n° 30.

2 Siège du pouvoir exécutif argentin.

3 « Qu’ils s’en aillent tous, qu’il n’en reste plus un seul ! »

4 Dans « Un informe reservado alerta sobre grupos violentos en la Patagonia », article mis en ligne sur le site du journal Clarín le 26/11/17.

5 Cet homme de 28 ans avait disparu le 1er août alors quil participait à une manifestation de la communauté mapuche, réprimée par la police militaire. Son corps a été retrouvé dans une rivière en octobre – la responsabilité de la police est désormais avérée.

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