Précaires : le socialisme punitif

Des décennies de précarisation l’ont montré : la gestion capitaliste du chômage et des chômeurs constitue un laboratoire des mutations du salariat. Ou comment le chômage est tout simplement devenu un moment du travail.

« L’immoralité ouvrière est constituée par tout ce par quoi l’ouvrier contourne la loi du marché de l’emploi telle que le capitalisme veut la constituer. »

Michel Foucault

Cette fois, la guerre aux précaires a officiellement été déclarée. Devançant les négociations actuelles des partenaires « sociaux » (patronat et syndicats) sur l’assurance chômage, Hollande a lancé les hostilités. Dès janvier, il a décrit l’indemnisation du chômage comme étant des plus « généreuses » et appelé à de « raisonnables efforts » pour résorber le déficit. Le gouvernement s’est en effet engagé auprès de Bruxelles à réduire ses déficits publics de 3,8 % à 3,5 % et compte réaliser une part des économies sur les faibles garanties concédées aux chômeurs. Une fois l’offensive lancée, les experts de la Cour des comptes ont rempli leur rôle en maquillant les mécanismes d’un déficit de l’Unedic dont il s’agissait avant tout de dramatiser l’ampleur. Divers hiérarques socialistes ont fait chorus, puis la ministre du Travail, suggérant d’instaurer la dégressivité des allocations chômage, a brandi la menace : une réduction insuffisante du déficit conduirait l’État à refuser d’agréer le protocole Unedic et à « reprendre la main » pour imposer sa convention chômage.

Par L.L. de Mars.

Une contre-réforme permanente

De Mitterrand, Blair et Schröder à leurs épigones, le travaillisme d’État a contribué d’une manière décisive à la précarisation de l’emploi et à la montée de l’insécurité sociale. Radicalement coupé des salariés, ce travaillisme-là n’a plus rien de « social-démocrate ». Le PS ne déroge pas à la règle. Déjà, en 1998, face aux exigences portées par une mobilisation massive des chômeurs et précaires, il avait rompu avec toute notion de solidarité en déclarant préférer « une société de travail à l’assistance » (Lionel Jospin). Digne de la droite décomplexée, cette morgue disait implicitement aux chômeurs : « Ton revenu est indu ».

Contrairement à une idée reçue, c’est dès 1982 qu’une attaque sans précédent a été conduite contre les droits des chômeurs et précaires : la « rigueur économique » de gauche a précédé le blocage des salaires de 1983. Alors que le seuil des deux millions de chômeurs vient d’être franchi, le risque financier est mis en avant. Le gouvernement Bérégovoy entend « sauver l’Unedic ». Les chômeurs seront moins indemnisés, et – fait nouveau – ils le seront en fonction de la durée de cotisation antérieure (création des « filières d’indemnisation ») et de la durée d’emploi. Cette réforme réduira drastiquement les garanties concédées. Conséquence : la majorité des chômeurs ne sera plus indemnisée. Les socialistes et une CFDT absorbée dans l’État viennent de mettre en place les conditions d’apparition des « nouveaux pauvres », comme on disait durant ces années 1980, lorsque l’extension de la pauvreté de masse dans un pays à la richesse croissante ne s’était pas encore banalisée.

Indemniser moins de la moitié des chômeurs, c’est encore trop ! Le plan d’austérité qui s’annonce impliquerait de diminuer de 800 millions d’euros le montant des allocations. Le ministère du Budget a donc établi des scénarios de coupes budgétaires : une diminution de 100 jours de la durée d’indemnisation toucherait 400 000 personnes ; un jour d’emploi ne vaudrait plus un jour indemnisé mais 0,9, ce qui réduirait les droits de 947 000 allocataires ; diminuer l’indemnisation de 57 % à 49 % de l’ancien salaire affecterait 1,28 million de chômeurs. En actionnant les curseurs avec dextérité, les économies dépasseraient les 800 millions.

Dans le même temps, on renouvelle les dispositifs de contrôle. De fait, la contre-réforme est permanente, une guerre d’usure continue menée simultanément sur de multiples plans afin de déstabiliser sans trêve les précaires. Pour ce faire, les repères des ayants droit sont modifiés sans cesse. Il s’agit de rendre caduque l’expérience et le savoir acquis des concernés dans le maquis kafkaïen des bureaucraties sociales. Le droit social doit rester un pauvre droit, et le précaire sans prise sur sa situation. Ainsi, Pôlicemploi a-t-il été doté d’agents de contrôle chargés de vérifier que les chômeurs cherchent « activement un emploi ». Les radiations devraient prendre leur envol. Il faut non seulement punir mais aussi réduire les chiffres du chômage. Car il sont la preuve de l’échec de l’économie, d’une politique du capital dont l’État est le garant. Par la baisse et la suppression des allocs comme par le renforcement des contrôles, les chômeurs sont également conduits à disparaître. D’eux-mêmes. Déjà, nombre de « chômeurs découragés » ne s’inscrivent plus ou pas.

Il faut activer les chômeurs !

Le projet gouvernemental de code du travail ne se borne pas à favoriser le droit de l’entreprise contre les droits des travailleurs. Selon une disposition passée inaperçue, il prévoit d’aligner les prérogatives de Pôle emploi sur celles de la CAF en matière de récupération d’« indus ». Finie l’obligation d’en passer par des procédures judiciaires, Pôle emploi se servirait à loisir sur le revenu des indemnisés, sauf lorsque ces allocataires effectueront des recours. Ce qui n’est pas, et de loin, le plus fréquent.

Il s’agit aussi de continuer à faire grimper le nombre des chômeurs « en activité à temps réduit » – 40 % d’entre eux sont déjà dans ce cas –, qui dépendent à la fois de salaires morcelés et d’éventuels subsides publics (allocs chômage, RSA, prime d’activité). Guerre aux « assistés » et production de travailleurs pauvres vont de pair. Comme lors de l’adoption de la convention précédente, ces salariés à l’emploi discontinu ou « atypique », saisonniers, intérimaires ou intermittents, seront parmi les premiers visés. Là aussi, le terrain a été préparé par le travail de sape des experts. Diverses études ont montré à quel point les travailleurs précaires coûtent cher à l’Unedic.

Le travail est avant tout un rapport de pouvoir. Il s’agit de gérer les flux de main-d’œuvre disponibles vers l’emploi en dépassant la forme classique de subordination salarié/patron. Des économistes parlent de « désalarisation formelle ». La subordination s’effectue désormais vis-à-vis de l’institution (Pôle emploi) dont les entreprises ne seraient plus que des « clients ». Autre exemple récent de cette dilution du salariat, l’auto-entrepreneuriat s’apparente à une forme de sous-traitance flexible, extrêmement rentable pour les entreprises. La création de ce statut comme celle de la prime d’activité montre que, si la vision libérale fait du marché l’élément fondateur de la société, l’État néolibéral s’en distingue en ce qu’il l’appréhende, lui, comme une construction sociale dans laquelle son rôle décisif est de produire une concurrence sans cesse renouvelée. La dette et les déficits publics sont des instruments de commande utilisés à fin de produire cette concurrence.

En charge de l’État, le PS contribue à l’institution d’une société punitive dans laquelle la forme-salaire est une modalité de contrôle des usages du temps. Après plus de quarante ans de chômage de masse, le mythe du plein emploi, levier efficace pour mettre en concurrence des pans de plus en plus larges de la population sert un objectif : le plein emploi précaire. La valeur travail est le support d’une précarisation générale par-delà les statuts juridiques (CDI, CDD, auto-entrepreneur, stagiaire), comme le montre l’ultime tentative de renversement du droit du travail en droit du capital.

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