Nigel Farage et Ukip, mais qu’est-ce qu’on va faire de ceux-là ?

Un Royaume-Uni débarrassé du carcan européen, revenu à ses couleurs traditionnelles, purgé de ses chômeurs et de ses immigrés. Tel est l’horizon bien à droite et « décomplexé » servi à Southport (nord-ouest de l’Angleterre) en ce 8 novembre pour la dernière conférence régionale du United Kingdom Independence Party (Ukip), jeune parti populiste et europhobe. À six mois des élections générales britanniques, sa posture belliqueuse séduit un électorat toujours plus vaste, enivré par des promesses de sécurité économique et de souveraineté nationale. Mais en réalité, la politique ourdie par son leader Nigel Farage n’augure qu’une énième vague de vandalisme néolibéral dissimulé derrière un raz-de-marée nationaliste et xénophobe. Vous êtes prévenus : dans la brochure Policies for people, distribuée entre les rangs, le parti dit « non au politiquement correct, cela étouffe la liberté de parole ».

Ce qui n’était en 1993 qu’une nouvelle formation eurosceptique et moquée par la caste au pouvoir s’est muée, sous la direction de Farage, depuis 2010, en rutilante machine électoraliste. Aux européennes de mai dernier, le Ukip remportait 27,5 % des suffrages, écrasait ses adversaires travaillistes et conservateurs, et envoyait 23 députés au parlement de Strasbourg. Plus récemment, le 21 novembre, le parti se targuait d’avoir amorcé « une nouvelle aube dans la politique britannique » en propulsant son deuxième député au parlement de Westminster. Marché du travail débarrassé des concurrents immigrés, préférence nationale en matière d’allocations sociales, souveraineté arrachée aux mains de Bruxelles, autant de promesses taillées pour étourdir une classe ouvrière éclatée, travaillée par l’idéologie conservatrice comme le reste de l’opinion et essorée par la crise. Le credo martelé par Farage parle aux Britanniques « de souche »  : « Contrôler la quantité et la qualité des gens qui s’installent ici. »

Mais c’est bien en digne héritier de Margaret Thatcher que se pose le leader du Ukip. À la mort de la Dame de fer l’année dernière, Farage affirmait être « le seul politicien à entretenir la flamme du thatchérisme », celle du tout-privatisé et du zéro-syndical. Flirtant un moment avec l’idée d’une flat tax – un impôt unique indifférent aux écarts de revenus entre un chauffeur de taxi et un trader londonien, par exemple – il confiait récemment au Telegraph son intention « de réduire absolument les dépenses publiques » ainsi que l’impôt sur les sociétés. « Je juge tout le monde à l’aune du “Farage test”, confiait-il à un journaliste de Newsweek en octobre dernier. Premièrement, est-ce que je les emploierais ? Deuxièmement, est-ce que j’irais boire un verre avec eux ? » Pour faire passer la potion amère, Farage s’est forgé une image d’homme du peuple révolté telle que l’on en oublierait presque sa carrière de courtier à la City de Londres, ou ses accointances éhontées avec les grandes fortunes du pays. Ces derniers temps, on l’a vu poser sur un tank dans la banlieue de Manchester, inviter ses électeurs à une tournée des bars pour soutenir son poulain local dans le sud du pays et… s’exhiber en compagnie de grandes fortunes lassées de la fiscalité toujours trop lourde des conservateurs. Comment, diable, la « majorité silencieuse » dont il prétend faire résonner la voix peut-elle acclamer un tel jeu de dupes ? Pourquoi la vieille dame du troisième rang au congrès de Southport exulte-t-elle quand le représentant des West Midlands, Bill Etheridge, assure que « les travaillistes, en voulant aider les gens, les ont privés de leur liberté en leur imposant leurs vues sur la manière dont ils devaient être » ?

Sûrement parce que, en fin connaisseur des ressorts émotionnels d’une classe ouvrière aux abois, le Ukip déploie sa politique de combat sur le terrain des bonnes vieilles valeurs et des ressentiments. « Liberté  », martèle Paul Nuttal (le numéro 2 du parti) à Southport. Entendez  : «  liberté d’entreprendre, de travailler dur ». « Responsabilité individuelle », poursuit Bill Etheridge. Comprenez que « les allocations sociales rendent les gens apathiques » et que les solidarités familiales prévalent sur les bienveillances condescendantes du nanny state. Sans oublier un tour de vis autoritaire sur le système pénal, des courbettes aux militaires et des saillies sexistes éhontées. À la manière de Marine Le Pen, Farage aime à fustiger le « modèle communiste » du fédéralisme européen et ne s’encombre pas de subtilités en matière d’immigration. Si le Ukip répugne à accueillir des ressortissants roumains et bulgares, c’est parce que leurs pays sont en proie au « crime organisé et à la corruption », les prédisposant fatalement à « voler le travail des Britanniques et à siphonner les allocations sociales ».

Le Ukip est habile à jouer les épouvantails d’un système démocratique à bout de souffle. À tel point qu’il a su réduire le débat public à son avantage : depuis le début de la campagne électorale, l’ensemble des prétendants au pouvoir, travaillistes compris, se sont précipités dans la course à qui sera le plus ferme en matière de contrôle de l’immigration ou de lutte contre la fraude aux allocations sociales. À la fin de la conférence, Gary, le voisin de gauche à la cinquantaine bien tassée, était un peu assoupi. Il a sursauté quand les gens se levèrent pour chanter l’hymne national. « Ce que vous [les continentaux, ndlr] ne comprenez pas, c’est que nous habitons sur une île, explique-t-il avant de partir. Une petite île. On a laissé trop de gens s’installer ici et ça va finir par craquer. Nigel va faire changer les choses, je vous le garantis. » Et quand la police viendra pour toi, Gary, il n’y aura plus personne…

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