Et nous pourrions répéter à l’envi ce qui s’est dit : xénophobe, raciste, climatosceptique, homophobe, protectionniste, idiot, sexiste, inepte, etc. Voir Trump devenir la nouvelle incarnation de l’Uncle Sam n’a – vraiment – rien de rassurant. Nous pourrions faire le portrait robot de ceux qui lui ont donné le pouvoir… Dire que le vote républicain n’est pas vraiment une affaire de classe sociale – même s’il a progressé chez les plus pauvres – tant il varie peu selon le niveau de revenus. Appuyer surtout sur la prédominance de la question raciale : 58 % des Blancs ont donné leurs voix au mâle contre seulement 8 % des Noirs [3]. White Power avez-vous dit ? Oui ! Nous pourrions, encore, évoquer le vote des évangélistes blancs (81 % pour Trump)… Mais stop !
Nous pouvons jeter l’anathème sur les électeurs de Trump. Il n’y a rien à comprendre à leur désir raciste. On peut chercher derrière ce vote une classe ouvrière oubliée par les élites de Washington et de Wall Street, mais on n’y trouvera que le terreau d’un ressentiment culturel nourri au racisme systémique. Albert Woodfox, ex-membre du Black Panther Party, le sait mieux que quiconque : « Quand je suis sorti de prison après 44 ans, un de mes plus gros chocs a été de réaliser que les choses n’avaient pas tellement changé. La plus grosse différence, c’est que le racisme y est moins ouvert. Il est désormais codé. Regardez ce que raconte Donald Trump quand il proclame qu’il faut “reprendre l’Amérique” [avec son slogan “Take America Back”, ndlr]. Mais qui s’est emparé des États-Unis ? Ce que Trump veut dire, c’est qu’il est temps pour l’Amérique blanche de reprendre le contrôle. De son point de vue et de celui de ses supporteurs racistes, l’Amérique est contrôlée par les minorités. Trump a obtenu le soutien du Ku Klux Klan, du parti nazi et de toutes ces autres organisations racistes, et il ne les a jamais dénoncés. [4] »
Ni dénoncés, ni désavoués ou alors du bout des lèvres. Trump est même allé plus loin, en nommant son ancien directeur de campagne, Stephen K. Bannon – patron du site d’extrême droite (alt right) Breitbart News –, chef de cabinet de la Maison-Blanche. Ou comment faire le bonheur des suprémacistes blancs qui, depuis, se lâchent sans vergogne – comme le montre la multiplication des agressions racistes et des croix gammées sur les murs des grandes villes étasuniennes. Pourtant ces relents d’égouts n’ont pas fait paniquer les marchés financiers pour un sou… un petit coup de flip de quelques heures et toutes les bourses repartaient à la hausse. OEillères bien en place, l’optimisme est de mise. Après tout, Trump le milliardaire n’est pas là pour se tirer une balle dans le pied.
Quant à Clinton, sa manière – très énervante – d’incarner le politically correct lui a fait perdre des points. Elle était détestée… et détestable. Suffisamment, en tout cas, pour faire perdre six millions de voix au camp démocrate par rapport à l’élection de 2012 – alors que les républicains en perdent un million. C’est l’abstention qui l’a planté. Hillary, c’est le statu quo. La continuation d’une politique de libéralisation de l’économie qui fut engagée par William, l’autre Clinton (Bill), dès son premier mandat. Qu’elle ait remporté le « vote populaire » – c’est-à-dire le nombre de voix – et que sa défaite se situe au niveau du collège électoral ne change rien à l’affaire. Finalement, dans ces élections, il n’y a jamais d’alternatives. Et à la fin, ce sont les marchés qui gagnent. À la botte de l’économie, les politicards s’imaginent être – ô fantasme – le « dernier rempart entre [nous] et l’apocalypse. » Ils ne se rendent même pas compte qu’ils en sont, juste, les trompettes.
Du bullshit dans les yeux
Au début de la soirée électorale, ce 8 novembre, le baromètre du New York Times donnait à 85 % les chances d’une victoire démocrate. Sur le plateau de CNN, les mines des présentateurs s’assombrirent en fin de soirée. Entre un milliardaire tout droit sorti d’une série Z et une démocrate aussi tranchante qu’un couteau à beurre, la figure de « l’homme à poigne » a pu mobiliser un électorat méprisé et tourmenté. Il suffisait pourtant de s’éloigner des grandes villes, même sur la côte acquise au parti démocrate, pour voir que les prédictions avaient du plomb dans l’aile. Étudiants « dégoûtés » par « l’opportunisme » d’Hillary Clinton ; prolos séduits par le « parler vrai » de Donald Trump ; classes moyennes convaincues que les vieilles recettes reaganiennes « répareront les dégâts » de l’administration Obama.
Si les journalistes s’en remettent à une condamnation commode des sondages, leur aveuglement tient aussi d’un isolement de classe concédé à demi-mot. Quand les faiseurs d’opinion new-yorkais s’enferment dans leurs enclaves libérales et empochent jusqu’à dix fois le salaire médian des habitants de l’Ohio, comment prendraient-ils au sérieux la colère sociale d’États ruraux, sinistrés et conservateurs ? Comme le dit crûment le journaliste américain Marc Dion sur creators.com, « les éditorialistes des grands journaux étaient horrifiés à l’idée que des chrétiens pauvres et blancs de l’Oklahoma pouvaient voter. Bordel, ces gens-là ne sont même pas allés à l’université ! » Qu’on se rassure : le directeur du New York Times (un poste à 500 000 dollars l’année, d’après ses prédécesseurs), critiqué pour sa couverture biaisée de l’élection, s’est fendu d’une lettre d’excuse à ses lecteurs. Il assure « réfléchir à ce résultat capital » et « réaffirme son engagement » pour les bonnes vieilles valeurs du journalisme. Qui, encore une fois, en ont pris un sacré coup.