Les 19 salopards

En lançant en octobre le « Manifeste des 343 salauds » intitulé très délicatement « Touche pas à ma pute », le magazine Causeur a réussi son coup. L’info a été relayée par tous les médias. Le but était d’attaquer un projet de loi de pénalisation des clients des prostitués (en fait, une amende). C’est intéressant de remarquer que ce manifeste a été monté comme un coup de publicité. Il en reprend les ressorts et les objectifs. La pub passe son temps à abîmer les symboles et les valeurs dans le but de vendre des chaussettes. Ce manifeste pathétique détourne deux beaux symboles : le slogan anti-raciste « Touche pas à mon pote » et le manifeste des 343 salopes qui déclaraient avoir avorté. Sauf que ces femmes, en 1971, se mettaient hors la loi en le signant, alors que ces mecs, qui précisent bien que tous ne sont pas clients, ne craignent rien d’autre que le ridicule et l’abjection. (On compte sur vous les filles pour mettre à jour leur fiche Wiki).

Par Caroline Sury.

D’ailleurs, comble d’ironie, ils ne sont même pas 343 ! On a en réalité 19 signataires, qui forment une alliance entre la droite la plus réactionnaire tendance manif pour tous, représentée par Jacques de Guillebon, Basile de Koch, éric Zemmour, Ivan Rioufol, avec la gauche vicelarde de Jérôme Leroy, François Taillandier, Nicolas Bedos, Frédéric Beigbeder. Ces mecs dits de gauche ont toujours adoré la libération des femmes… à condition qu’elle fasse ouvrir plus grand les cuisses aux nanas. De même que les patrons adorent la liberté des ouvriers quand ils demandent à travailler le dimanche.

Au long de l’histoire, on pourra trouver cette alliance de dominants qui, sans se rendre compte de l’obscénité de leurs revendications, cracheront à la gueule des dominés pour conserver leurs prérogatives. Leurs arguments sont les mêmes. Ces messieurs tiennent à la fois des esclavagistes (je bats mes nègres et c’est ma liberté), des parents bourreaux (je frappe mes enfants et c’est ma culture), des chauffards (je roule bourré à 180 km/h et la morale est un truc de bourgeois) et des patrons (oui j’exploite mes ouvriers mais ailleurs ce serait pire).

Causeur a donc suivi toutes les règles du coup de communication. Car tout cela, tout ce bruit obscène pour quoi ? Pour que ces mecs puissent disposer du corps des femmes sans se remettre en cause. Comme le dit l’association Casseurs de pubs : « La pub nous dit de consommer tout, tout de suite, de céder à toutes nos pulsions. » Sauf qu’aller aux putes n’est pas un besoin vital, c’est un besoin socialement construit sur la légitimation d’un rapport de domination. Ces 19 salopards-là ne veulent pas que le monde change. Ils continueront à se taper des escort-girls (plus élitiste pour ces Parisiens que des petites Roms sans papiers de quinze ans à cinq euros la pipe). Sans doute ces prostituteurs continueront de laisser des commentaires sur les sites Internet. Si on peut laisser des avis sur des films et des jeux-vidéo, pourquoi pas sur des femmes ? Pour voir le vrai visage des clients, moins médiatique, rendez-vous sur le site prostitueur-tumblr. Attention, âmes sensibles s’abstenir.

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Paru dans CQFD n°116 (novembre 2013)
Dans la rubrique Casse noisettes

Par Casse-noisette
Illustré par Caroline Sury

Mis en ligne le 30.12.2013