La vie de bureau chez Mermet (en 2003)
T’en baves là-bas si j’y suis
Suite à la publication d’une énième enquête sur les pratiques de Daniel Mermet par Arrêt sur images (« Chez "Là-bas", Daniel Mermet écrase les grévistes »), on vous remet cet article datant de notre n°7 (décembre 2003), qui déjà pointait en Mermet un patron toxique maltraitant ses subordonnés.
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Il y a des choses qu’on n’a pas envie de savoir. Des choses pas belles dont on voudrait laisser le monopole aux patrons fouettards, aux cheffaillons du marché, à tous les potentats tordus auxquels Daniel Mermet, de sa bonne voix chaude, s’attaque chaque après-midi sur France Inter. Oui, on aimerait mieux ignorer que Mermet, lui aussi, se comporte en négrier. Pour ne pas désespérer Billancourt, déjà pas très en forme. Pour, surtout, conserver une chance d’être un jour invité à la belle antenne de « Là-bas si j’y suis », quasiment la seule émission nationale accessible aux réfractaires, aux critiques des médias, aux acteurs du mouvement social, aux journaux et éditeurs indépendants. Mermet, la voix des sans-voix, détient sur la contestation un monopole qui le protège des contestataires.
La solitude du harcelé est plus grande quand le harceleur incarne la quintessence du bien.
Mais voilà, y a plus moyen d’y échapper. Dans un témoignage qui circule depuis novembre, une collaboratrice de Mermet, lourdée de l’émission après trois années de corvées, raconte l’envers de l’idylle. Le texte est long, voici le début : « Le lundi 6 octobre 2003 dans la matinée, j’ai avalé des médicaments à mon bureau de France Inter et depuis, je suis en arrêt maladie. Pourquoi ? Parce que je suis victime depuis de longs mois, en fait depuis des années, de harcèlement moral de la part de Daniel Mermet, dont je suis l’assistante. » Déjà, on les entend qui s’écrient : règlement de comptes personnels ! Qu’est-ce qui prouve que ce n’est pas de la calomnie ? À COFD, certains d’entre nous connaissent la signataire de ce récit, Joëlle Levert. Ce n’est pas une complice du journal, nous n’avons rien à gagner à lui faire plaisir, mais nous savons que ce qu’elle dit est vrai. Nous le savons pour en avoir été les témoins directs à certains moments, et parce que d’autres anciens collaborateurs de Mermet nous ont fait part des mêmes griefs. S’ils ne les ont jamais exprimés publiquement, c’est par crainte de se griller encore plus, de ne pas retrouver de boulot, d’être soupçonnés de traîtrise à la cause. La solitude du harcelé est plus grande quand le harceleur incarne la quintessence du bien.
Sans compter les pigistes floués qui découvrent les vertus du travail gratuit et du respect zéro.
Joëlle le précise elle-même : « À ma seule connaissance, au moins une dizaine de collaboratrices de l’émission – attachées de production, comme moi, assistantes de réalisation ou reporters – ont eu à subir les vexations et brimades de Daniel Mermet [...]. Faut-il parler de R. B., plongée dans la dépression, et qui pleurait chaque soir ou presque au cours des derniers mois de sa participation à l’émission ? De C. L., qui vomissait souvent en rentrant de la cantine, à force de stress et de pressions ? De V. B., enceinte, qui laissa tomber parce qu’elle craignait pour sa santé ? De C. L., de S. C., de M. B. et de bien d’autres ? »
Sans compter les pigistes floués qui découvrent les vertus du travail gratuit et du respect zéro. Mermet, en effet, ne consent à rémunérer un reportage qu’après diffusion. Or, comme il ne prend pas toujours le temps d’écouter les bandes qu’il à lui-même commandées, ou qu’il les juge pas bonnes, ou qu’il a changé d’idée entre-temps, elles risquent de finir à la trappe sans rapporter un centime à son auteur. Pas mal, pour quelqu’un qui combat avec ardeur l’exploitation.
« Le maître-mot, au cœur des crises rituelles et récurrentes, c’est “sabotage”, poursuit Joëlle. Régulièrement, les membres de l’équipe sont qualifiés d’“invertébrés”, indignes de travailler pour l’émission. [..] Dès que quelque chose ne tourne pas rond, dès qu’une cassette manque quelque part, ou un micro, jusqu’au moindre détail, c’est la faute de l’assistante. » Exemple d’amabilité lancée par l’interviewer du sous-commandant Marcos à sa subordonnée, qui bossait dix à onze heures par jour, parfois sans déjeuner : « Tu vois ce que c’est, rien ? Toi, t’es moins que rien. »
La voix de la critique des dominants s’épanouit elle-même dans la domination.
Les humiliations récoltées par Joëlle Levert, trop vastes pour se résumer ici, convergent toutes vers la même conclusion, amère, désenchantante : la voix de la critique des dominants s’épanouit elle-même dans la domination. Énoncer ce fait, c’est peut-être offrir à la direction de France Inter, qui n’attend que ça, un prétexte pour virer l’émission. Le centriste poudré Jean-Luc Hees en rêve de jour comme de nuit. Mais fermer sa gueule, c’est approuver l’impunité, c’est encourager la récidive. Si Mermet peut s’adonner librement et depuis si longtemps à la perversion – largement répandue, il est vrai – qui consiste à reproduire au bureau ce que l’on fustige en public, c’est bien parce qu’il y a des gens qui l’ont laissé faire. On ne parle pas des victimes qui tendent le bâton pour se faire battre en croyant que, comme ça, ça fera moins mal : à peu de choses près, elles sont des millions dans le même cas. On parle des autres, des amis de Mermet, des porte-paroles reconnus, des invités à répétition qui savent ce qui se passe et n’ont jamais moufté. On parle d’une communauté d’intérêts qui justifie le silence par toutes sortes de bonnes raisons, qui toutes conduisent à une seule, très mauvaise : on ne dit pas de mal de celui qui nous ouvre le micro, C’est pourtant tellement plus amusant de s’organiser autrement, sans se coltiner les schizos, et avec les vrais collègues... ■
Cet article a été publié dans
CQFD n°7 (décembre 2003)
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Paru dans CQFD n°7 (décembre 2003)
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Mis en ligne le 13.12.2022
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