L’église, le moulin et le data center
Recueil des peines Mirabeau
Vous en redemandez ? Voilà qu’un nouveau projet d’installation de data center vient s’ajouter à la douzaine des gigantesques boîtes à machines qui ronronnent déjà à Marseille. Pour une fois, l’aventure est tentée au-dehors du port de la ville qui a accueilli la plupart des derniers chantiers. La société japonaise Telehouse, aux manettes, a jeté son dévolu sur une parcelle de six hectares qui longe l’autoroute A7, proche du quartier des Pallières aux Pennes-Mirabeau. Les habitant·es, quant à elleux, ont seulement été informé·es « dix ou quinze jours avant le début de l’enquête publique, via un article de La Provence début septembre », explique Jean Reynaud de l’association Bien vivre aux Pennes-Mirabeau (BVPM), avant de souffler : « Les conseillers municipaux de l’opposition n’étaient même pas au courant. » La raison se trouve peut-être dans la crainte de s’attirer les foudres des riverain·es, « car pour qu’un data center puisse s’implanter quelque part, il faut non seulement des réseaux électriques et de communication importants, de l’eau et du foncier abordable, mais aussi un risque de contestation citoyenne réduit »1.
« C’est sans illusion que j’écris ces quelques lignes »
Passage obligatoire avant de valider la construction, une enquête publique a été lancée en ligne le 22 septembre, afin de récolter les observations citoyennes sur le projet2. Comme d’habitude, lorsqu’il s’agit d’infrastructures de ce type, les « consultations » composent un recueil de critiques souvent bien étoffé, mais tout aussi souvent ignoré. Alors, pourquoi s’y intéresser ? Parce qu’elles ont au moins le mérite de rendre visible la parole des concerné·es. Et de révéler autant de façons d’exprimer son ras-le-bol.
Il y a d’abord les personnes qui n’y vont pas par quatre chemins. Un·e anonyme écrit ainsi : « C’est intolérable ! Marre des data centers et de l’intelligence artificielle qui détruisent les espaces naturels et agricoles, qui suppriment massivement les emplois et qui ne servent à rien sauf à nous pourrir la vie. » Sur le même ton, on trouve des avis tranchés en version poétique : « Esthétiquement ce bâtiment est une BOUSE, au secours », ou biblique : « Il ne faudrait pas en rajouter sous peine de voir les populations migrer vers d’autres cieux. » Dans cet idéal type des « pas content·es », il est aussi possible de lire, à contre-courant des pourfendeur·euses de la tech, des diatribes soutenant corps et âme le projet. Christophe, par exemple, critique les « oppositions de pacotille » et encourage plutôt à « laisse [r] la France redorer son blouson [sic] comme nouvel eldorado techno sans faire tout ce chichi sur des investissements ».
Une autre stratégie consiste à relever très rigoureusement les manquements du projet vis-à-vis des obligations environnementales ou des documents réglementaires du territoire. Christine a consulté une lettre du maire des Pennes-Mirabeau qui tente de montrer en quoi l’installation du data center répond aux conditions détaillées dans le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). Elle expose ensuite dans un document de neuf pages et « point par point » pourquoi « les affirmations développées dans ce courrier ne sont pas recevables ». Avant de conclure, laconiquement, que « le permis de construire sollicité par la société Telehouse ne peut lui être délivré en l’état ».
Enfin, on trouve une litanie de réserves poliment formulées, s’enquérant : « Quel prix pour notre petit coin de campagne où il fait bon vivre ? » D’autres, moins polies, remettent en question l’enquête publique et s’approchent, peut-être, de la vérité : « C’est sans illusion que j’écris ces quelques lignes, persuadée que tout est déjà acté et que cette consultation n’est qu’une mascarade ! »
Sous son noble habit de démocratie participative, l’enquête publique risque une nouvelle fois de trahir ses promesses. Et les Pennes-Mirabeau de voir surgir, entre « l’église, le moulin et l’usine Coca-Cola », un nouveau monstre. Alors, Monsieur le commissaire-enquêteur, qu’en dira-t-on ?
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 « Méga ordi en surchauffe », CQFD n° 338 (février 2025).
2 À l’écriture de cet article, 38 contributions avaient été déposées sur la plateforme.
Cet article a été publié dans
CQFD n°246 (novembre 2025)
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Paru dans CQFD n°246 (novembre 2025)
Par
Illustré par Gwen Tomahawk
Mis en ligne le 15.11.2025
Dans CQFD n°246 (novembre 2025)
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