Face à la submersion raciste
Rangeons les calculettes
La formule de « submersion » migratoire empruntée par le Premier ministre à feu Jean-Marie Le Pen a scandalisé – à raison – toutes les bonnes âmes encore vaguement progressistes de ce pays. Dans la presse, journalistes, politiques, chercheurs et fact-checkeurs en tout genre se sont relayés pour démonter, chiffres à l’appui, l’expression de François Bayrou.
La cellule « Le vrai ou faux » de France Info pose la question : « Submersion migratoire : quelle est la réalité des chiffres de l’immigration en France ? » Les plus éminents démographes du pays font le tour des plateaux pour rappeler que non, 7,3 millions d’immigrés, ce n’est pas une submersion. Le très sérieux journal The Conversation invite une chercheuse en droit européen pour l’affirmer haut et fort : « La submersion migratoire ne correspond à aucune réalité scientifique. » Sur France Culture, le présentateur de l’émission « L’Esprit public » est plus nuancé : « Les immigrés représentent près de 11 % de la population : ça n’est pas négligeable, mais ce n’est pas une submersion. »
Dans l’un de ses rares instants de lucidité, Apolline de Malherbe, présentatrice vedette de BFM TV, va au bout de ce raisonnement et demande au directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration : « À partir de quel moment pourrait-on considérer que ce mot [submersion] serait juste ? » Car c’est bien ça l’effet produit par ce cadrage médiatique petit comptable : accréditer l’idée qu’il existerait un certain seuil à partir duquel, oui, il serait légitime de parler de submersion. Qu’il existerait une ligne rouge, certes pas encore franchie, au-delà de laquelle la France cesserait d’être France.
Les migrants sont-ils trop nombreux ? Pas assez ? Sont-ils une richesse pour la France ou un coût ? Ces questions ne servent à rien.
Répondre au delirium raciste de François Bayrou par un « Mais non regardez, ça va, ils ne sont pas si nombreux », c’est déjà légitimer les politiques migratoires ultrarépressives de Bruno Retailleau et de ses tristes prédécesseurs au ministère de l’Intérieur, celles qui font que, justement, « ils ne sont pas si nombreux ». C’est s’empêcher de penser la migration en dehors des critères d’évaluation de la droite : ceux des chiffres, de la régulation, du contrôle.
Les migrants sont-ils trop nombreux ? Pas assez ? Sont-ils une richesse (économique, culturelle, humaine) pour la France ou un coût ? Ces questions ne servent à rien. Pour penser l’accueil, il nous faut poser le débat autrement.
D’abord, considérer l’immigration non pas comme une option, mais comme un fait. Des femmes et des hommes quittent leurs terres, ces innombrables aires géographiques perdantes d’une mondialisation impérialiste. Certains décident de rejoindre les États vainqueurs de ces échanges mondiaux prédateurs, notamment les anciennes puissances coloniales dont elles maîtrisent la langue. C’est souvent le cas pour la France.
Ceci nous laisse deux options. Celle de la persécution, menée par nos gouvernements successifs : les expulsions, les privations de libertés, la traque sur tout le territoire, dans la rue, dans les gares, aux frontières, dans les Alpes, en Méditerranée, les chiens, les noyades, la mort. L’alternative, c’est la solidarité, l’entraide, au nom d’une humanité commune.
Soit nous accueillons dignement, et c’est bien là la moindre de nos responsabilités, soit nous continuons à piétiner. Voilà la seule question qui vaille pour établir des politiques sur l’immigration.
Cet article a été publié dans
CQFD n°239 (mars 2025)
Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.
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Paru dans CQFD n°239 (mars 2025)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Fred Sochard, Kalem
Mis en ligne le 28.03.2025
Dans CQFD n°239 (mars 2025)