Le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement.
Problème : un peu partout dans les médias, des pédiatres confirment les dires de Julie Starck, racontant comment l’actuelle épidémie de bronchiolite met leurs services en difficulté. Ainsi du docteur Laurent Dupic, de l’hôpital Necker, à Paris : « Depuis trois semaines, on voit le système se déstructurer, tous les jours, heure par heure : des enfants dans un état grave sont maintenus dans des endroits inadaptés. Des bébés sous masque à oxygène, qui devraient être en réanimation, restent en pédiatrie générale, aux urgences, parce qu’il n’y a plus de places [2]. »
Manque de matériel, pénurie de soignants. Retards de prise en charge, complications. Décès évitables non évités. Si l’on en juge par l’état de son hôpital public, le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement. Et il n’y a pas que l’hôpital…
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Ces dernières décennies, à chaque attaque néolibérale contre les services publics, des fonctionnaires et des syndicalistes préviennent : « Ça va s’effondrer. » Eh bien, à bien des aspects, on y est. Cet été, des dizaines de services d’urgence ont fermé. Dans l’Éducation nationale, on recrute des enseignants en quelques minutes de job-dating pour cause de démissions en série et de pénurie de candidats [lire p. 16]. Au 1er janvier prochain, La Poste ne livrera plus le courrier à « J+1 », c’est-à-dire le lendemain de son expédition, mais à « J+3 » au mieux [p. 14]. Cet été, les pompiers ont été complètement dépassés par les feux de forêt. À l’Inspection du travail, le sous-effectif est tel que les agents sont de moins en moins en mesure de protéger les salariés de patrons voyous. Etc., etc. De l’Office national des forêts à Pôle emploi, partout il y a manque de moyens et perte de sens [lire les témoignages d’agents pp. 12 & 13].
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Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain.
On ne dira jamais assez les torts de l’idéologie managériale qui pressure les agents, les met en concurrence, les soumet à des impératifs chiffrés pour mieux les empêcher de faire leur métier. On n’écrira jamais assez la bêtise coupable de l’obsession gestionnaire qui met le fonctionnement des services publics sous surveillance comptable, oubliant que c’est aussi la capacité à travailler à perte, mais pour l’intérêt général, qui fait la beauté et l’intérêt du service public. En vérité, les « économies » préconisées aujourd’hui par les chantres de la rigueur budgétaire ne sont rien d’autre que les coûts sociaux de demain…
Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain. Qui en est responsable ? Pour les auteurs de La Valeur du service public [lire l’interview pp. 10 & 11], un groupe social est particulièrement coupable : la « noblesse managériale publique-privée ». Formé de très hauts fonctionnaires et de consultants multipliant les allers-retours entre la haute administration et les grandes entreprises privées, ce gang est à la manœuvre des réformes du service public, le dépeçant tout en le poussant à ressembler de plus en plus au privé.
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« Combien de temps encore laisserons-nous l’État dynamiter notre bien commun ? » se demande un pompier volontaire qui témoigne dans ce dossier. Essentielle, l’interrogation pourrait se reformuler ainsi : jusqu’à quand allons-nous laisser la gestion des services publics à cette « noblesse managériale publique-privée » qui ne pense qu’à son intérêt propre ? Dans son récent livre La Bataille de la Sécu (La Fabrique, 2022), l’économiste Nicolas Da Silva rappelle que, de 1946 à 1967, le régime général de la Sécurité sociale était majoritairement géré par les assurés eux-mêmes, appelés à élire les gestionnaires des caisses.
L’histoire le montre donc : en lieu et place d’une gestion étatique au pur service du capital, d’autres modes d’organisation sont possibles. Et si on reprenait le contrôle des services publics ? ■