La fabrique du déni
Que dit-on de l’inceste en fac de psycho ?
« Le traitement qui est fait des violences sexuelles commises sur les enfants et plus particulièrement de l’inceste est catastrophique dans ma fac, mais aussi dans de nombreuses universités françaises. À Aix-Marseille Université (AMU), la psychanalyse est totalement hégémonique et se résume principalement à Freud et Lacan. Les étudiants qui ont choisi la psychologie clinique comme spécialité seront plus tard au contact des victimes d’inceste ; or il n’y a pas de cours sur le trauma simple et encore moins sur le trauma complexe1. C’est totalement absent des enseignements.
Le complexe d’Œdipe et la théorie du fantasme sont au centre de l’apprentissage, passant sous silence les violences réelles commises sur les enfants.
Pour prendre correctement en charge les victimes de violences, les psychologues doivent donc faire des formations complémentaires payantes après l’obtention de leur diplôme, et c’est bien évidemment au bon vouloir de chacun. Pire, le complexe d’Œdipe et la théorie du fantasme sont au centre de l’apprentissage, passant sous silence les violences réelles commises sur les enfants. Jamais les chiffres sur l’inceste ou les conséquences de ces violences ne sont évoqués. Finalement, l’université est un prolongement de ce qui se passe au sein de la société : négation de l’inceste et mauvais traitement des victimes. »
« Pour faire court, Freud commence par faire l’hypothèse que les “hystériques” auraient été victimes de violences sexuelles dans l’enfance (c’est la “théorie de la séduction”). Les symptômes à l’âge adulte seraient donc causés par un traumatisme “refoulé”, lié au passé. Mais il renonce finalement à cette théorie pour mettre au premier plan celle du fantasme quand il s’aperçoit qu’il ne parvient pas à soigner les malades et que les cas d’inceste, notamment d’inceste paternel, sont trop fréquents. En 1897, dans une lettre à un pair2, il écrit : “Une telle généralisation des actes pervers commis envers des enfants semblait peu croyable.”
« Une telle généralisation des actes pervers commis envers des enfants semblait peu croyable »
Cette réalité était difficilement acceptable, y compris pour Freud qui a lui-même grandi dans une famille incestueuse avec un père agresseur… Il élabore alors la théorie du complexe d’Œdipe, selon laquelle les symptômes seraient causés non par une violence réelle, mais par un fantasme incestueux chez l’enfant, plus précisément par un refoulement issu d’un conflit entre désir sexuel incestueux et interdiction de ce désir. Freud écrit, dans Ma vie et la psychanalyse (1925) : “Je dus cependant reconnaître que ces scènes de séduction n’avaient jamais eu lieu, qu’elles n’étaient que des fantasmes imaginés par mes patients […] les symptômes névrotiques ne se reliaient pas directement à des événements réels, mais à des fantasmes de désir”… L’inceste serait donc du côté de l’enfant et non de l’adulte, et du côté du fantasme et non de la réalité. Il y a un double renversement. Et c’est le point de départ de nos apprentissages à l’université… »
« L’année dernière, une prof nous a carrément dit qu’il n’y avait aucune différence entre les personnes traumatisées par l’inceste réellement subi et celles (prétendument) traumatisées par leurs propres fantasmes… Et plusieurs profs ont déjà manifesté ouvertement leur réticence vis-à-vis du signalement lorsque l’on est face à un enfant qui révèle des violences, sous prétexte qu’il pourrait ne s’agir que de “fantasmes”.
Les conséquences de la théorie du complexe d’Œdipe sont donc bien concrètes, et dramatiques pour les victimes. Et la doctrine en est complètement imbibée, au point que de nombreux professionnels continuent de s’en réclamer, et qu’elle est encore aujourd’hui enseignée à de futurs praticiens. Cela conduit à une absence de formation sur le psychotrauma et à une négation des violences réelles subies par les enfants, en particulier au sein de la famille, en plus d’une impunité offerte aux agresseurs.
L’idée n’est pas de supprimer la psychanalyse des enseignements, mais de trouver un meilleur équilibre, de favoriser l’esprit critique et de ne pas rester bloqués sur des théories permettant de nier l’inceste commis sur les enfants. La psychologie ne se résume pas à la psychanalyse et la psychanalyse ne se résume pas non plus à Freud ou Lacan, et encore moins au complexe d’Œdipe. Il faut une mise à jour des enseignements pour permettre aux futurs psychologues de prendre correctement en charge les victimes d’inceste, qui sont innombrables et dont le vécu est déjà suffisamment nié par l’ensemble de la société. »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.
Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !
1 Le « trauma simple » est causé par un événement unique (agression, accident…) quand le « trauma complexe » est dû à la répétition de violences dans le temps, entraînant des conséquences psychiques multiples et plus vastes.
2 Voir celle du 21 septembre 1897, dans Enquête aux archives Freud, Jeffrey Masson (L’instant présent, 2012).
Cet article a été publié dans
CQFD n°247 (décembre 2025)
Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°247 (décembre 2025)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Maïda Chavak
Mis en ligne le 06.12.2025



