Mégaprocès pour ultragauche

Procès des inculpés du 08/12 : Les fantasmes du parquet

Le procès des « inculpé·es du 8 décembre 2020 » s’est tenu en octobre devant le tribunal correctionnel de Paris. Retour partiel sur un dossier aussi bancal que dangereux pour le futur des libertés publiques.
Une illustration de Marina Margarina

« Vous n’êtes pas jugés pour vos opinions politiques  », rappelle la présidente. Une partie de la salle 2.13 du tribunal correctionnel de Paris se marre. Et pour cause. Durant ce mois d’octobre où les « inculpé·es du 8 décembre 2020 » se sont vu·es jugé·es pour « association de malfaiteurs terroriste », c’est bien à un procès politique qu’on a cru assister. Des parties d’airsoft interprétées comme des entraînements paramilitaires à la confection de pétards artisanaux considérée comme de la fabrication d’explosifs, le spectacle aurait pu relever du comique, si les inculpé·es ne risquaient pas toustes dix ans de prison ferme.

Tout au long du procès, les substituts du procureur se sont obstiné·es à vouloir démontrer la dangerosité des « ultragauchistes » tout penaud·es qui se sont succédé à la barre. Pour cela, ils ont pu compter sur les 11 947 séquences audio captées par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) grâce à un micro planqué dans le camion de Florian, ancien internationaliste engagé au Rojava et surveillé depuis son retour en 20181.

« Vous mettez deux gauchistes et de l’alcool dans un camion, et ça donne ça »

Reste que selon les calculs de Me Raphaël Kempf, un des avocat·es de la défense, seules 0,72 % des séquences enregistrées ont été versées au dossier par les enquêteurs. Au menu, des bribes de conversations, souvent à l’heure de l’apéro, où l’on entend parler politique, révolution, flics et projets d’autonomie. « Vous mettez deux gauchistes et de l’alcool dans un camion, et ça donne ça », résume un prévenu.

Entre le peu de goût du parquet pour le second degré et les conversations tronquées, on réalise à quel point ces « preuves » peuvent s’avérer trompeuses. Et quand les treize avocat·es de la défense cherchent à comprendre comment les agents ont pu confondre des coups de marteau avec des « rafales de tir », le tribunal refuse par trois fois de faire venir à la barre les anonymes de la DGSI. Pas d’explication non plus sur la disparition d’une des rares vidéos à décharge dans ce dossier, où l’on apercevrait deux potes se retrouvant le temps d’un week-end pour descendre des canettes plus que manier des bombes. Manque de bol, elle n’a pas été retranscrite et il n’en reste rien. Appelée à la barre pour évoquer un autre épisode, Camille s’agace d’entendre les juges parler d’entraînements paramilitaires et mélanger armes réelles et pistolets à billes, comme pour donner des airs de réel aux fantasmes du parquet.

À l’évocation des méthodes de la DGSI lors des arrestations2, les larmes montent à la barre. « On faisait des “pauses techniques” » pendant les interrogatoires, raconte William. Au cours de l’un d’eux, les flics coupent la caméra et lui font comprendre que Florian a été pris le doigt sur la gâchette, qu’il s’apprêtait à faire une grosse connerie. On lui conseille de charger un peu son ami pour ne pas moisir en taule les prochaines années. William finit par qualifier Florian de «  leader charismatique » pour aller dans le sens des enquêteurs. « On m’aurait demandé s’il avait assassiné François-Ferdinand, j’aurais dit oui. »

Sommé·es de détailler leurs convictions, les prévenu·es sont réduit·es à des anarchistes assoiffé·es de sang

La surveillance, les écoutes et les barbouzeries ne suffisant pas à prouver l’existence d’un projet d’attentat, il faut alors démontrer une vague intention, saupoudrée d’autres éléments à charge : l’un porte un tatouage ACAB, d’autres étaient à la ZAD de Sivens quand Rémi Fraisse a été tué, possèdent des brochures d’infokiosque, vivent en camion, utilisent des messageries sécurisées et partagent des idéaux libertaires. Sommé·es de détailler leurs convictions, les prévenu·es sont réduit·es à des anarchistes assoiffé·es de sang : « Quand vous parlez de lutte contre les intolérances, vous parlez de lutter contre les forces de l’ordre ? », questionne une juge.

Pour Florian, décrit par le parquet comme une « légende dans le milieu  », c’est son engagement au Rojava contre Daesh qui est retenu à charge : « Après les attentats de Charlie, les écoles de police se sont remplies, aboie le procureur. Mais vous, vous avez choisi de donner la mort ! » Il en remet une couche plus tard, quand Florian évoque le confédéralisme démocratique : « Votre référence c’est Öcalan, le fondateur du PKK terroriste ! » Me Coline Bouillon rappelle que malgré les apparences, ce n’est pas le parquet turc qui les poursuit.

La tension monte encore d’un cran quand l’expert en explosifs missionné par le juge d’instruction expose ses alarmantes conclusions si des explosifs avaient été confectionnés à partir des produits perquisitionnés et si ces derniers avaient été dans des proportions plus importantes. Des si aux « conséquences catastrophiques », comme le montre sa carte de l’hypothétique explosion d’un lieu soi-disant pris au hasard : la place Vendôme, adresse du ministère de la Justice.

Le 22 décembre, les prévenu·es sauront s’ils retourneront en prison. Florian était celui qui risquait le plus gros : le procureur réclame 6 ans ferme avec mandat de dépôt à effet différé. Après quinze mois à l’isolement, sa détention provisoire s’était soldée par une grève de la faim. Quant à Camille, elle est parvenue à faire reconnaître l’illégalité de vingt-six fouilles à nu en quatre mois et demi d’incarcération.

Par Raul Picaud
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Cet article a été publié dans

CQFD n°224 (novembre 2023)

Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.

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Paru dans CQFD n°224 (novembre 2023)
Illustré par Une illustration de Marina Margarina

Mis en ligne le 24.11.2023