Aux prémices d’un féminisme sportif

« On se bat pour tous les sports féminins »

La principale équipe de handball féminin de Nîmes voit ses financements se réduire au point de mettre en danger la vie du club. En cause ? Des choix politiques qui se font systématiquement au détriment des clubs féminins. Rencontre avec des sportives en lutte.
Par Faustine Jacquot

Fin janvier 2023, cinq joueuses du Bouillargues Handball Nîmes Métropole (BHNM), en deuxième division nationale, se retrouvent dans leur vestiaire pour réaliser une courte vidéo. L’une d’elles entre dans la pièce tenant à la main un courrier fictif représentant les vœux de Franck Proust, le président de la communauté d’agglomération, à destination du club. Les joueuses ouvrent l’enveloppe. Dedans, des feuilles blanches. Un courrier sans contenu, à l’image du silence de celui qui « n’aime pas les sportives »1 et dont les coupes budgétaires arbitraires fragilisent en tout quatre clubs féminins de haut niveau à l’échelle de l’agglomération. « Pourquoi n’aidez-vous que les clubs masculins ? Pourquoi dites-vous que notre sport ne rayonne pas suffisamment ? Pourquoi cette discrimination envers les filles ? Pourquoi ne méritons-nous pas votre soutien ? » demandent-elles. Autant de questions qui annoncent la couleur : les sportives sont discriminées et elles vont devoir se battre pour défendre leurs clubs.

Mauvaise foi métropolitaine

Alors que les financements attribués par Nîmes Métropole au BNHM sont passés de 130 000 euros en 2020 à 60 000 euros en 2021, avant de carrément disparaître en 2022, ceux auxquels ont droit les clubs masculins n’ont que peu diminué. Au micro de France Bleu Gard Lozère, Franck Proust entend couper court aux critiques qui fusent dans la presse depuis l’annonce de la décision en mai dernier : « Ce n’est pas un problème de sexisme ou de discrimination, c’est un problème de légalité2. » La carte maîtresse de son argumentaire : les compétences de la communauté d’agglomération ne permettent pas le financement de structures sportives. Pourtant, d’autres clubs professionnels, parmi lesquels Nîmes Olympique, l’USAM et le RCN, tous masculins, restent bien financés3. Sa justification ? Ces financements sont attribués au titre de prestations de services de communication, versées aux clubs dont la bonne couverture médiatique est assurée et qui profitent à l’image de Nîmes Métropole.

Pour Manon Lachaize, 22 ans, demi-centre au BHNM, comme pour ses coéquipières, ça ne fait pas de doute : « C’est vraiment de la discrimination. Le président Franck Proust estime que nous ne rayonnons pas assez par rapport au sport masculin. » Rayonner, c’est-à-dire attirer les investisseurs privés et être largement diffusé. Les clubs féminins des différentes ligues professionnelles de sport collectif dépendent encore majoritairement des subventions publiques4 et la médiatisation, mis à part lors de quelques compétitions internationales, reste très modeste. Mobiliser un tel argument revient tout bonnement à assumer un véritable désengagement vis-à-vis du sport féminin.

Le combat devient politique

Face à une injustice qui renvoie plus largement aux inégalités structurelles entre le sport professionnel masculin et féminin, les handballeuses de Bouillargues se mobilisent depuis près d’un an sur le terrain comme sur les réseaux. Pour Chloé Roelandt, 32 ans, pivot au BHNM, c’est désormais un combat politique : « On espère qu’ils reviennent sur leur position, non seulement sur le plan financier, mais aussi pour qu’on soit reconnues en tant que sportives de haut niveau. »

Et dans ce combat, les moyens de luttes ne se limitent pas à de l’indignation sur les réseaux sociaux ou des vidéos. « On a fait des sit-in devant Nîmes Métropole, poursuit la joueuse. Il y avait plusieurs représentantes de clubs – le foot, le volley, le basket et le handball. Les filles du foot sont venues nous voir, les étudiantes du club sont allées voir un match de foot pour montrer le soutien et pour essayer de se mobiliser. » Si les autres équipes touchées par ces coupes budgétaires ont peu à peu cessé de se manifester, les handballeuses de Bouillargues, elles, persévèrent et cherchent à renouveler leurs actions. Une cagnotte en ligne leur a ainsi permis de récolter quelques milliers d’euros et de toucher des médias nationaux. « Le but de la cagnotte était moins de récupérer de l’argent que d’être vues, de sortir une liste à ce président pour dire : “Regardez le nombre de personnes qui nous soutiennent et qui trouvent votre décision aberrante” », explique Manon Lachaize. Des délégations de joueuses se rendent régulièrement à l’assemblée communautaire de Nîmes Métropole pour rappeler, au moins par leur présence, que les choix des élu·es ne passent toujours pas.

Pour un féminisme sportif
« Il faut que les sportives développent une conscience de genre et qu’un féminisme sportif émerge »

Le monde du sport est peu habitué à des mobilisations collectives comme celle menée par les handballeuses de Bouillargues. Il y a encore dix ans, la sociologue Christine Mennesson expliquait que dans le sport, « les mobilisations genrées demeurent exceptionnelles », alors même que « les femmes font l’objet dans ces disciplines de politiques identitaires les incitant à se conformer aux normes sexuées et sexuelles dominantes »5. Aujourd’hui, si les protestations sont nombreuses et de plus en plus médiatisées, elles restent néanmoins le fait de personnes isolées réagissant à des discriminations criantes. Rien que ces dernières semaines, la basketteuse Salimata Sylla a dénoncé le traitement des sportives voilées en France après avoir été interdite d’une compétition ; des cyclistes professionnelles se sont insurgées contre l’abandon de la création d’une section féminine au sein de l’équipe B&B Hotels-KTM et le peu de considération de ses dirigeants ; la skippeuse Clarisse Crémer a été lâchée par son sponsor, la Banque populaire, et ne pourra donc pas participer au prochain Vendée Globe, tout ça parce qu’elle est devenue maman. Pour Béatrice Barbusse, sociologue et vice-présidente de la Fédération française de handball, tous ces cas convergent et indiquent « l’émergence d’une sororité sportive ». Une étape importante, mais en rien suffisante selon elle : « Il faut que les sportives développent une conscience de genre et qu’un féminisme sportif émerge.  »6

Dans cette lutte, des soutiens amateurs ou extrasportifs se structurent peu à peu. L’association Femmes journalistes de sport, créée en 2021 autour du mot d’ordre « Occupons le terrain ! », entend ainsi défendre et promouvoir celles qui ne représentent actuellement que 15 % des rédactions sportives. En décembre dernier, la première Assemblée générale du foot féministe s’est tenue en région parisienne à l’initiative de l’association pionnière Les Dégommeuses. Des exemples à suivre ? Manon Lachaize en convient : dans le sport professionnel, une organisation collective « ferait du bien à beaucoup de femmes – même à des hommes. Ça permettrait peut-être à certaines personnes de sortir du silence. On ne parle pas qu’en notre nom. On parle au nom de tous les sports féminins, de tous les clubs féminins. On se bat pour tout le monde. »

Roméo Bondon

1 « Franck Proust n’aime pas les sportives », L’Humanité (21/12/2022)

2 (18/01/2023).

3 Respectivement, le club professionnel de football (Ligue 2), de handball (Division 1) et de rugby (Nationale 2).

4 Selon l’étude « Le sport féminin », réalisée par le Centre de droit et d’économie du sport (CDES) en 2017, la part des subventions représentait alors entre 50 et 62 % des revenus des clubs.

5 « Pourquoi les sportives ne sont-elles pas féministes ? », Sciences sociales et sport n° 5, 2012.

6 Le Sexisme dans le sport, Anamosa, 2022.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°218 (mars 2023)

« Moins de super profits, plus de super pensions », « Prenez la thune aux milliardaires, pas aux grands-mères »... Dans les manifs contre la réforme des retraites, ça casse du riche ! Dommage collatéral ? Que nenni ! Alors que les crises se cumulent, les inégalités se creusent toujours plus et les riches se font plaisir. D’où notre envie d’aller voir ce mois-ci du côté des bourgeois. Ou comment apprendre à mieux connaître l’ennemi, pour mieux le combattre évidemment. En hors-dossier, la Quadrature du net nous parle de la grande foire à la vidéosurveillance que seront les Jeux olympiques Paris 2024. Youri Samoïlov, responsable syndical, aborde la question du conditions de vie des travailleurs dans l’Ukraine en guerre un an après le début de l’agression russe. Avec Louis Witter, on discute du traitement des exilés à Calais à l’occasion de la sortie de son livre La Battue. On vous parle aussi du plan du gouvernement « pour la sécurité à la chasse » qui n’empêchera hélas aucun nouvel « accident » dramatique, d’auto-organisation des travailleurs du BTP à Marseille ou encore d’une exposition sur un siècle d’exploitation domestique en Espagne... Et plein d’autres choses encore.

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Paru dans CQFD n°218 (mars 2023)
Par Roméo Bondon
Illustré par Faustine Jacquot

Mis en ligne le 13.04.2023