Sur la Sellette

Obscur témoin

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2024

Rachid E., Algérien en situation irrégulière, ­comparaît pour conduite sans permis et violences ayant entraîné un jour d’incapacité totale de travail. Sa femme est assise dans le public, au tout premier rang, accompagnée d’un de leurs amis.

Le président résume le dossier :

« Madame S. tarde à s’engager sur un rond-point, ça ne vous plaît pas. Vous klaxonnez et, pour finir, vous percutez délibérément la voiture par l’arrière. Quand la victime veut faire un constat, elle se fait insulter : “Je m’en bats les couilles, je n’ai pas le temps, je vais t’écraser.” Vous enclenchez ensuite la marche arrière et contournez la voiture en montant sur le terre-plein, manquant de la renverser selon elle. Quand elle vous recroise à la pompe à essence le lendemain, à bord du même véhicule, accompagné du même passager – qu’on n’a malheureusement pas pu entendre –, elle appelle la police. »

Le prévenu affirme que ce n’était pas lui qui conduisait la veille, mais son frère.

Ça fait rire le président :

« Votre frère…

– Mon frère me ressemble fort.

– Et est-ce que votre frère est dans la salle pour se constituer prisonnier ? Non ? Bon, vous avez dit en garde à vue que vous étiez à Toulouse. Or le bornage de votre téléphone indique que vous étiez à Muret. Par ailleurs, on aimerait bien savoir qui était le passager.

– C’est quelqu’un qui traîne avec moi.

– Ah, et il traîne avec votre frère aussi ?

– Oui ! »

Pendant que le président ricane, l’homme qui accompagne la femme du prévenu lève la main et cherche à capter l’attention d’un magistrat. Il tient une feuille à la main, protégée par une chemise transparente. Mais comme le tribunal l’ignore, il finit par renoncer, l’air embarrassé.

La procureure :

« C’est pas moi, c’est mon frère. Mais on n’a pas les coordonnées de ce frère, il n’apparaît pas sur les fichiers de police ou de justice. Il n’apparaît pas non plus sur les fichiers des étrangers alors qu’il est censé avoir un visa. Rachid E. a déjà été condamné en 2021 pour vol et conduite sans assurance. Et son attitude à l’audience m’inquiète pour l’avenir : s’il n’est pas capable d’assumer aujourd’hui, nous le reverrons dans un box, peut-être pour des faits plus graves ! »

Elle demande douze mois de prison avec mandat de dépôt1 et la confiscation du véhicule.

L’avocate de Rachid E. défend mollement sa version des faits :

« Il est difficile pour moi de venir contredire la parole de mon client. S’il a dit qu’il n’y était pas, probablement qu’il n’y était pas ! Le doute doit lui profiter. »

Quand le tribunal se retire pour délibérer, la femme du prévenu et l’homme qui avait voulu prendre la parole discutent âprement avec l’avocate de la défense. Ils sont rejoints par un monsieur qui ressemble au prévenu comme deux gouttes d’eau.

Les juges reviennent et condamnent Rachid E. à un an de prison avec un mandat de dépôt. Le président ajoute tout de même, un peu gêné :

« Le tribunal a remarqué trop tard que le passager était dans la salle… Par ailleurs, on ne l’a pas vu monter au plafond, hein ! »

Par La Sellette
Retrouvez d’autres chroniques sur le site : lasellette.org.

1 . Le mandat de dépôt permet au tribunal d’envoyer le condamné en prison immédiatement après l’audience.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°235 (novembre 2024)

Ce mois-ci, on s’entretient avec une militante impliquée dans la révolte contre la vie chère en Martinique. Deux de nos reporters sillonnent le mur frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, sur fond de campagne présidentielle Trump VS Harris. On vous parle de l’austérité qui vient, des patrons qui votent RN, mais aussi de la lutte contre la LGV dans le Sud-Ouest et des sardinières de Douarnenez cent ans après leur grève mythique…

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