Docu : héroïne(s) oubliée(s) de l’indépendance algérienne

Moudjahidate !

Le documentaire 10 949 femmes s’intéresse à l’histoire de Nassima Hablal, l’une des nombreuses combattantes de la lutte de libération nationale algérienne.
D.R.

À travers le documentaire 10 949 femmes 1, la réalisatrice Nassima Guessoum a choisi de donner un visage à l’une de ces 10 949 moudjahidate (combattantes) de la lutte de libération nationale algérienne. Elle suit Nassima Hablal (1928-2013), engagée dans le combat anticolonialiste depuis son adhésion, après la Seconde Guerre mondiale, au Parti du peuple algérien (PPA) fondé en 1937 par Messali Hadj, après la dissolution de l’Étoile nord-africaine par le gouvernement de Front populaire. Le choix de mettre en lumière la trajectoire d’une militante politique apparaît d’autant plus intéressant que la représentation de l’engagement féminin au cours de la révolution algérienne a souvent fait la part belle aux maquisardes ou aux membres du « réseau bombes » d’Alger, au détriment des formes de résistance moins spectaculaires. La pluralité de ces engagements civils ou militaires avait déjà été mise en images par Alexandra Dols dans Moudjahidate (2007) où l’on retrouvait l’énergique Baya Laribi, montée au maquis à l’âge de 20 ans et surnommée « el Kahla » (la Noire) en raison de la couleur de sa peau.

On pourrait encore mentionner l’émouvant documentaire de Rabah Zanoun, émilie Busquant, une passion algérienne (2014) qui retrace le parcours de l’épouse de Messali Hadj, grâce au témoignage de Djanina Messali-Benkelfat, la fille de ce couple emblématique du premier âge du nationalisme. Ces trois réalisations traitent moins de figures oubliées d’un passé volontairement occulté que d’une mémoire mise en cage et enchaînée, à l’instar du personnage du « fou » dans la fiction de Merzak Allouache Les Terrasses (2013), où un ancien moudjahid obsédé par la trahison de ses contemporains trouve pour seule interlocutrice une enfant en manque de distraction. S’il devait exister un fil conducteur commun à ces oeuvres, ce serait sans nul doute celui du désenchantement d’une génération pionnière face aux problèmes survenus au cours de cette « période héroïque », comme l’évoque Nassima Hablal en parlant des règlements de compte au sein du FLN, en passant néanmoins sous silence la compétition violente avec le Mouvement national algérien (MNA). Nassima Hablal est d’ailleurs décédée le même jour que Mustapha Ben Mohamed dit « Negro », son ancien camarade de lutte, passé du messalisme au trotskisme.

Le spectateur non spécialiste de l’histoire politique algérienne sera sans doute désorienté par l’absence de repères permettant de saisir les subtilités du récit aussi riche que touchant de Nassima Hablal. Les initiés, qui passeront outre aux choix techniques de la réalisatrice, apprécieront la liberté de ton de cette doyenne du militantisme qui, par son attitude ou son discours, n’hésite pas à pointer les tabous de la société algérienne qui pèsent plus spécifiquement sur les femmes. Comme indiqué dans le dossier de presse du film, Nassima Guessoum a lu le travail universitaire de Danièle Djamila Amrane-Minne, à la fois protagoniste et historienne de l’action des femmes dans la lutte de libération nationale. Depuis la publication de ces recherches fondatrices au début des années 1990, dans un contexte de guerre civile où le contrôle du corps des femmes (re)devenait un enjeu sanglant, une nouvelle génération de chercheurs a exploré les diverses facettes de cet engagement radical au féminin à l’instar de Ryme Seferdjeli et Natalya Vince, sans oublier Neil McMaster ou Marc André.

Certaines de ces 10 949 moudjahidate ont participé aux manifestations contre le code de la famille au début des années 1980, tandis que leur action anticolonialiste a inspiré les activistes féminines entrées en scène à l’époque du parti unique, comme le souligne Feriel Lalami. C’est cette transmission d’un capital politique que l’on aurait aussi souhaité voir à l’écran, ce qui aurait nécessité de sortir, au moins temporairement, du cadre intimiste privilégié par Nassima Guessoum. Cela a toutefois le mérite de permettre à Nassima Hablal de parler de ses souffrances, mais aussi de l’amour ; de partager, souvent avec humour, des anecdotes relatives à son ancienne condition d’indigène d’Algérie ; d’évoquer, entre deux chansons, sa politisation au contact d’étudiants algérois de gauche ; de dévoiler ce lien sororal avec Nelly Forget, engagée auprès du Service civil international (SCI). Et c’est certainement l’intérêt principal du film en ces temps de confusionnisme politique et de révisionnisme historique.

Nedjib Sidi Moussa

Plus d’informations : <https://www.facebook.com/10949.Femmes>


1 Au « pays du million et demi de chouhada (martyrs) », expression consacrée pour évoquer l’ampleur des pertes humaines au cours de la lutte armée pour l’indépendance algérienne, le titre interpelle. 10 949 ne tombe pas rond. Et pour cause : cette quantité désigne le nombre de moudjahidate (combattantes) recensé par le ministère algérien des moudjahidine (combattants) au début des années 1970. Selon la même source, le nombre total de ces anciens combattants, femmes et hommes confondus, s’élevait à 336 748, se répartissant entre les membres de l’Armée de libération nationale (ALN) engagés au maquis et ceux de l’organisation civile du Front de libération nationale (FLN), organisation devenue hégémonique entre 1954 et 1962.

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Paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
Par Nedjib Sidi Moussa
Mis en ligne le 01.08.2019