Cinq ans d’inaction écologique

Macron, repris de justice climatique

Des cadeaux à l’agro-industrie, de nouveaux réacteurs nucléaires et une double condamnation de l’État pour inaction climatique : face à l’urgence écologique, le mandat de Macron a surtout été marqué par la procrastination.
Illustration de Segoube

Des cadeaux à l’agro-industrie, de nouveaux réacteurs nucléaires et une double condamnation de l’État pour inaction climatique : face à l’urgence écologique, le mandat de Macron a surtout été marqué par la procrastination.

« Make our planet great again ». Emmanuel Macron avait envoyé du lourd à son arrivée à l’Élysée en 2017, avec ce slogan en réponse au mantra reaganien « Make America Great Again » de Donald Trump. Quelques mois après son entrée en fonctions, le président étatsunien avait annoncé le retrait de son pays de l’accord de Paris sur le climat de 2015. Notre leader tricolore, lui, commence par la jouer « citoyen » et « participatif », en lançant les États généraux de l’alimentation en juillet 2017 – suivis, en octobre, du discours de Rungis appelant à « plus de production bio ou d’agroécologie » –, ou encore les Assises nationales de la mobilité au dernier trimestre de la même année. Acculé par les Gilets jaunes, Emmanuel Macron lance même, en avril 2019, une instance de démocratie délibérative, constituée de 150 français tirés au sort et appelés à plancher sur la réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

« Convention citoyenne » en toc

Le président l’avait juré, les propositions de cette « Convention citoyenne pour le climat » seraient transmises « sans filtre » au Parlement pour qu’il rédige le texte phare du quinquennat sur l’écologie : la loi « Climat et résilience ». « Sans filtre » ? Début 2021, on apprend que les lobbys industriels ont bel et bien « filtré » les propositions des 150 conventionnels1. Ces derniers recommandaient l’introduction du « crime d’écocide », nouvelle infraction punissant les atteintes les plus graves à la nature ? Le gouvernement relègue la dimension de « crime » aux oubliettes, suivant le Medef qui, dans une note remise fin 2020, s’était inquiété qu’ « un tel dispositif répressif [constitue] un signal contraire à la volonté de relance de l’économie2 ». Idem pour la publicité contre les produits néfastes pour le climat comme les voitures, les smartphones ou les bouteilles en plastique : le gouvernement décide finalement de ne pas inclure ces biens de consommation dans la loi « Climat et résilience », préférant commander un rapport sur la régulation de la pub à Agathe Bousquet, présidente de Publicis, n°3 mondial de la communication. Pendant la rédaction de la loi, 86 % des auditions à l’Assemblée nationale impliquent de grandes entreprises et des organisations professionnelles. Airbus ou Veolia sont par exemple deux fois plus entendues que Greenpeace3. Résultat ? Le texte de loi final permettrait de réaliser moins de 10 % du chemin à parcourir d’ici à 2030 par la France pour freiner le dérèglement climatique.

La FNSEA donne le la

Côté agricole, le gouvernement suit à la lettre l’agenda productiviste de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le syndicat majoritaire. Annoncé en 2018, le « plan de sortie » du glyphosate, un herbicide cancérogène, à l’horizon 2020 ou 2022, semble définitivement enterré. Prohibés en 2016, les néonicotinoïdes, des insecticides tueurs d’abeilles, sont quant à eux réautorisés en 2020 dans la culture de la betterave sucrière, pour une durée de trois ans, comme le demandait le puissant lobby de ce secteur, la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Bien loin de mettre fin à l’agriculture productiviste, destructrice d’emplois et de biodiversité mais aussi très consommatrice d’hydrocarbures, Macron martèle au Salon de l’agriculture de février dernier les trois piliers du « plan d’investissements post-Covid France 2030 » pour transformer les fermes en start-ups de la tech : « Numérique, robotique, génétique ».

CO2 mon amour

En matière d’écologie comme ailleurs, le président pratique le « en même temps ». Côté transport aérien, le gouvernement annonce en janvier 2018 l’abandon définitif du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), mais verse 17 milliards d’euros durant le quinquennat en soutien à l’industrie aéronautique, sans contreparties écologiques. Résultat : les émissions des vols intérieurs progressent de près de 13 % entre 2016 et 2019. Pour les transports individuels, rebelote : le gouvernement fait bien adopter en 2019 un « plan vélo » national et rend obligatoire d’ici 2024 la mise en place de zones à faibles émissions dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, à l’air saturé par la pollution automobile ; mais la majorité présidentielle fixe l’interdiction des ventes de voitures neuves essence ou diesel à 2040, soit dix ans plus tard que la Grande-Bretagne, la Suède ou le Danemark.

Nucléaire autoritaire

Conséquence de ces renoncements, la France est le seul pays européen à ne pas avoir atteint son objectif d’énergies renouvelables – seulement 19,1 % du mix électrique en 2020, contre 23 % prévus au niveau européen. Pis, l’Hexagone consacre toujours davantage d’argent public au pétrole et au gaz qu’aux énergies renouvelables.

La France est le seul pays européen à ne pas avoir atteint son objectif d’énergies renouvelables.

Mais qu’on se rassure : Emmanuel Macron agit pour l’avenir énergétique du pays face au chaos climatique. Et il en décide seul, sans concertation ni débat public. En novembre 2021, il annonce ainsi la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires EPR d’ici 2050. Après un énième retard annoncé en janvier dernier, le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche) voit sa mise en service, initialement prévue pour 2012, repoussée à 2023, pour un budget passé de 3,4 à 19,1 milliards d’euros – c’est-à-dire multiplié par six. Pendant ce temps, l’industrie nucléaire ne sait toujours pas quoi faire de ses déchets radioactifs. Sur ce volet, l’État a d’ailleurs durement réprimé les opposants au projet de poubelle nucléaire Cigéo à Bure4.

« Carences fautives »

En mars 2019, après une pétition ayant recueilli 2,3 millions de signatures, le collectif L’Affaire du siècle, qui rassemble quatre organisations écologistes, dépose un recours contre l’État français en raison de ses manquements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En 2021, le tribunal administratif de Paris juge l’État coupable de « carences fautives » du fait du non-respect de ses engagements climatiques et demande « au premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique [d’ici] au 31 décembre 2022 ». Saisi par la ville de Grande-Synthe (Nord) qui s’estime menacée par la montée des eaux, le Conseil d’État acte pour sa part, en juillet 2021, que l’État n’est pas à la hauteur du défi climatique. Sous peine d’astreintes financières, la plus haute juridiction administrative exige que le gouvernement démontre d’ici fin mars 2022 qu’il a tout mis en œuvre pour que la France réduise drastiquement ses émissions. À l’heure où nous bouclons, c’est mal parti.

C’est donc en tant que repris de justice climatique que le candidat Emmanuel Macron se présente de nouveau. Qu’importe si, d’après le Haut Conseil pour le climat, les deux-tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés aux risques climatiques, telles les canicules. Macron sait bien que les personnes les plus précaires, notamment les habitants des quartiers populaires, sont en première ligne face aux dégâts causés par le dérèglement climatique5. Que ce n’est pas leurs intérêts qu’il défend, mais celui des plus riches. Des 63 milliardaires dont l’empreinte carbone est huit fois supérieure à celle des 50 % des Français les plus pauvres. De ceux qui sont prêts à tout pour préserver leur mode de vie.

Joaquim Basiluzzo

4 Lire à ce sujet « À Bure, “qui sont les malfaiteurs ?” », CQFD n° 200 (juillet-août 2021).

5 Lors des pluies diluviennes qui ont ravagé la Belgique en juillet 2021, ce sont les habitants des quartiers populaires qui ont été les plus durement touchés. À Verviers, une des villes les plus pauvres du pays, plus de 10 000 personnes s’étaient retrouvées sans toit après ce cataclysme climatique.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°208 (avril 2022)

Dans ce numéro d’avril peu emballé par les isoloirs, un maousse dossier « Crime et résistances » sur la guerre en Ukraine, mais aussi : le bilan écolo pas jojo de Macron, une plongée dans le « théâtre » de la frontière à Calais, le « retour de Jim Crow » aux États-Unis, une « putain de chronique », un aperçu du désastre d’Azincourt, une dissection du cirque électoral, une évocation des canards perdus au pays des cigognes…

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