Dossier : Debout partout
Lille : Convergence des nuits
La convergence des luttes, la préfecture nous y aiderait presque. Jeudi 21 avril, les condés ont lancé la première pierre, avant d’encaisser le premier retour de bâton. Après une manifestation émaillée de quelques jets de peinture sur l’Apple Store, les baqueux – mais pas que – viennent jouer du muscle à l’entrée du local de la CNT. Ils sont une centaine et fracassent l’entrée du siège syndical à coups de bélier. Après une démolition en règle du local, ils embarquent au hasard deux camarades. Une manifestation sauvage prend la route vers le commissariat central, orchestrant au passage un petit embouteillage à l’entrée de l’autoroute. Une demi-heure plus tard, le campement est planté devant le central au chant de « Libérez nos camarades ! ». Les klaxons des automobilistes soutiennent les quelque cent cinquante qui résistent face à la quarantaine de CRS – dont certains ont participé à la manif, trahis par leurs bottes maculées de peinture. Les SMS vont bon train, un barbecue s’organise.
Converser pour converger
De l’autre côté de la ville, l’AG de Nuit Debout commence. La question est posée d’emblée : « Faut-il rejoindre les CNT ? » Les discussions s’éternisent et opposent deux camps : « C’est inadmissible, illégal et sans précédent : il n’y a pas à cogiter, on doit aller les soutenir ! » contre « Ça serait mieux qu’on attende d’avoir plus d’informations, ça ferait mauvais genre si Nuit Debout allait soutenir des casseurs. » On vote. Le comptage est serré, mais valide le soutien aux camarades de la CNT. Quarante personnes rejoignent le commissariat en cortège et sont ainsi accueillies : « Heureusement que vous vous êtes pointé.e.s, sinon on vous aurait lâché.e.s : la convergence des luttes, ce n’est pas attendre que les luttes convergent vers vous. » Fin de l’épisode.
Le théâtre des opérations
Depuis le lundi 25 avril, le Théâtre du Nord est occupé par les interluttant.e.s 59-62, dont certain.e.s sont des habitué.e.s des AG. Leur invitation à organiser l’AG quotidienne de la place de la République dans ce haut lieu de la culture dominante lilloise fait grimacer le préfet et Martine Aubry. Cette habituée des scènes nationales huppées doit désormais frayer avec un public un peu plus bariolé : étudiant.e.s de Lille 1 et Lille 3, intermittent.e.s, Nuitdeboutistes, occupant.e.s de l’Insoumise (une librairie occupée) ou syndicalistes de Sud-Solidarité.
Chacun sa « place » ?
Cette fois encore, le scénario se rejoue : les agitations approbatrices des « mains » de Nuit Debout recueillent les regards interloqués des militant.e.s plus aguerri.e.s, et les invectives anti-organisations des « républicains de la place » fusent à l’endroit de certain.e.s syndicalistes. Parfois le ton monte. Lorsqu’un participant, se revendiquant de Nuit Debout, s’indigne : « En quittant la place, on est invisible », en réponse il reçoit un « Nuit Debout, retourne à la place » par la salle. Mais, l’air de rien, ça progresse. On évoque une intervention sauvage lors d’un vernissage, où Martine Aubry et Pierre de Saintignon, son adjoint, prévenu.e.s en dernière minute, ont annulé leur participation. Plusieurs participant.e.s appellent à la fusion des cortèges pour la manifestation du lendemain. Une caisse d’autodéfense juridique tourne pendant l’assemblée ; elle a déjà servi à payer les frais d’avocat.e.s des camarades de la CNT. Après tout, on est encore d’accord sur le point de départ : mieux vaut nuire debout qu’obéir assis.
Cet article a été publié dans
CQFD n°143 (mai 2016)
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Paru dans CQFD n°143 (mai 2016)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 11.04.2018