Quitter le mode sexiste et colonial
Les queers aussi sont aux manettes !
Une personne sur cinq jouant aux jeux vidéo s’identifie comme queer. Plus de 28 % d’entre elleux ont entre 13 et 18 ans. C’est le résultat d’une enquête réalisée l’année dernière par l’association américaine Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD) qui lutte contre les discriminations envers les personnes LGBTQ+. Le sondage a été réalisé auprès de 1 452 gamer·euses âgé·es de 13 à 55 ans, vivant dans diverses régions des États-Unis. Jusqu’alors, les recherches s’étaient concentrées sur les personnes majeures, jouant principalement sur deux types de terminaux : les consoles de salon et les ordinateurs. Elles excluaient donc mécaniquement de leur calcul les gameur·euses adolescent·es et les consoles portables, pourtant très répandues.
Parmi elles, la fameuse Nintendo Switch, une console particulièrement utilisée par la communauté queer états-unienne d’après le rapport GLAAD. La raison invoquée à cette tendance ? La Switch est vendue à un prix plus abordable que ces concurrentes, ce qui la rend accessible à des publics précaires, où les personnes LGBTQ+ sont surreprésentées. Mais une autre hypothèse peut être faite : Nintendo propose un catalogue plus « accueillant » – jeux conviviaux, peu de titres de tir ou sanglants – loin des arènes en ligne souvent pointées pour leurs communautés violentes et toxiques, notamment envers les minorités de genre et les personnes racisées.
Par ailleurs, le rapport révèle que 72 % des personnes queers interrogées déclarent que le fait de jouer des personnages auxquels iels peuvent s’identifier dans leur identité de genre et/ou sexuelle leur « fait du bien, leur fait se sentir mieux ». Et ce pourcentage augmente drastiquement lorsque les sondé·es vivent dans des États où la législation est particulièrement transphobes et/ou homophobes.
À la lecture de ce rapport, on pourrait se dire : bonne nouvelle ! Puisqu’on découvre enfin le nombre de personnes queers derrière les manettes, ainsi que leur désir de voir émerger de nouvelles représentations, on imagine que les studios, ne serait-ce que par simple intérêt mercantile, ont suivi. Mais c’est là que le bât blesse… Car seulement 2 % des jeux vidéo proposent un contenu ouvertement LGBTQ+.
Mais pourquoi diantre les studios de productions ne se sont-ils pas encore jetés sur ce nouveau marché juteux ? Une de nos hypothèses est que la menace du boycott pèse lourd dans les choix qu’ils font. Car dans le monde du jeu vidéo les suprémacistes, masculinistes et autres incels1 sont particulièrement bien organisés et saturent l’espace numérique. Leur cheval de bataille ? Combattre la très fantasmée « invasion woke ». Résultat : de multiples campagnes de boycott massives surgissent des réseaux sociaux, parfois même avant qu’un jeu ne soit sorti, au seul motif qu’on y trouve un personnage qui ne soit pas un homme blanc cisgenre. On pense à GTA VI2, qui a vu déferler critiques et menaces après qu’une partie du public ait cru identifier une protagoniste féminine transgenre. Idem pour Intergalactic : The Heretic Prophet, le prochain jeu du studio à succès Naughty Dog, dont la sortie suscite des commentaires hostiles et violents en raison du choix d’une héroïne asiatique.
Néanmoins, rappelons l’essentiel : le rapport GLAAD nous apprend que les personnes queers sont bien là, en nombre, et qu’ils et elles ne semblent pas prêt·es à lâcher les manettes parce que quelques hommes à l’ego ratatiné font du bruit. Et ces personnes disent : nous voulons plus de jeux et de personnages qui nous ressemblent. Avec cette exigence que la communauté queer ne devienne pas une nouvelle niche économique vendue à grand renfort de pinkwashing pendant que les créateur·ices souffrent au sein de l’industrie vidéoludique.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Les incels, signifiant « célibataires involontaires », est un groupe d’hommes hétérosexuels justifiant leurs solitudes par des arguments misogynes et sexistes. Une communauté souvent très violente et virulente sur les réseaux sociaux également très présente dans certains jeux vidéo en ligne.
2 Développé par le studio américain Rockstar Games, Grand Theft Auto, ou GTA, est un jeu d’action immensément populaire.
Cet article a été publié dans
CQFD n°244 (septembre 2025)
Pour cette rentrée agitée politiquement et socialement, on vous propose un dossier sous le signe de détente (pas tant que ça) : les jeux vidéos. Une industrie bien capitaliste reproduisant toujours les mêmes dominations. Mais certains·es irréductibles luttent pour déconstruire tout ça. Allez, à vos manettes ! Hors dossier, on analyse de la hausse des droits de douane, on prend des nouvelles (pas très bonnes) des indépendantistes Kanaks jugés devant les tribunaux, on donne la parole aux pompiers du Sud, en première ligne face au incendies et on s’intéresse aux violences policières en Belgique.
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Paru dans CQFD n°244 (septembre 2025)
Dans la rubrique Le dossier
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Illustré par Garte
Mis en ligne le 21.09.2025
Dans CQFD n°244 (septembre 2025)
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