Documentaire et bidonvilles
Les oiseaux de mauvais augure
Un étang de seconde zone d’où émerge un Caddie. Non loin, un panneau rappelle naïvement qu’il est interdit de s’y baigner. Des gamins Roms plongent dans l’eau vaseuse et font les zouaves devant la caméra. José Vieira se remémore que lui aussi s’était baigné dans ce même étang pourri dans les années 1960, alors qu’il n’était qu’un gamin portugais immigré de fraîche date.
« C’est toujours la même histoire. Là-bas, d’où l’on vient, l’espérance s’est fait la malle, et les gens n’ont pas d’avenir à offrir à leurs enfants », assène-t-il. En filmant les habitants roms d’un bidonville de Massy, en banlieue parisienne, il rassemble, caméra au poing, des fragments de son enfance passée dans un bidonville construit sur la même zone.
Fuir et survivre
Dans Souvenirs d’un futur radieux, photos familiales de Portugais des sixties et de Roms d’aujourd’hui entrent vertigineusement en écho. Les mêmes trois barres d’immeubles servent d’horizon commun. Comme des tours de château fort, elles représentent à la fois un monde inatteignable et les temps féodaux. En Roumanie aujourd’hui comme au Portugal dans les années 1960, les immigrés des deux communautés témoignent du manque quotidien de nourriture et du travail d’esclave pour le compte de gros seigneurs terriens. Tous ont quitté « un pays aux abois où seul le passé semblait présent ».
La voix off des Portugais illustre par un parallèle troublant le quotidien des Roms d’aujourd’hui. La déception en arrivant en France, la construction d’une baraque en récup’, la corvée d’eau, les trésors d’ingéniosité et de bricole, la peur des incendies de baraquement. Et puis la boue. Envahissante, collante et froide. José Vieira se rappelle : « Lors des premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, je m’étais dit que là-haut il n’y avait pas de boue. » Les Roms ressemblent ici à de maladroits astronautes, arpentant clopin-clopant l’entrelacs bourbeux des baraques de tôle. L’auteur cite alors les migrants sur les routes de Californie durant la Grande Dépression. Il aurait pu tout aussi bien mentionner la « jungle » de Calais. « Toujours la même histoire... »
Chercheurs de vie meilleure
José Vieira trace ainsi une mémoire commune des bidonvilles, qui se tisse depuis les conditions de vie misérables au pays – obligeant de simples familles à devenir des « chercheurs de vie meilleure » – jusqu’aux pratiques de survie en marge des villes. Cette histoire souterraine prend également forme grâce à des portraits de Roms. Des plans fixes d’habitants du bidonville agissent comme des miroirs face aux photos de famille de José Vieira prises à l’époque devant leur baraquement de fortune.
Mais comme le rappelle le documentariste, « les immigrés sont des oiseaux de mauvais augure : ils apportent des mauvaises nouvelles du monde ». Cette mémoire partagée des migrants est également émaillée par les mêmes expulsions musclées, les mêmes discours nauséabonds des politiciens locaux et le même mépris, entre racisme ordinaire, rackets et petites humiliations. Mais, pour le réalisateur, l’accordéon du folklore portugais entre aussi en résonance avec celui des chansons populaires roms. Car les fêtes improvisées du dimanche, la joie d’être malgré tout ensemble et l’humour sont autant de bouées de sauvetage pour s’échapper de ce marasme tout en boue et en tôles.
Devant la caméra, un jeune Rom joue ainsi au faux reporter. Avec un micro de fortune, il interroge son pote, hilare, qui se présente comme le directeur de l’usine de ferraille toute proche. Un autre se met dans la peau du maire du village. Le journaliste potache conclut : « C’est tout pour aujourd’hui. On fera un autre film quand les jours seront meilleurs ! »
« Souvenirs d’un futur radieux », de José Vieira, 78 minutes, 2014. Production & distribution : Zeugma Film. En DVD à 17 euros.
Pour se faire une idée, voir un extrait du documentaire.
Cet article a été publié dans
CQFD n°142 (avril 2016)
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Paru dans CQFD n°142 (avril 2016)
Par
Illustré par José Vieira
Mis en ligne le 13.10.2018
Dans CQFD n°142 (avril 2016)
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13 octobre 2018, 20:47, par claudie sanchez
je n’ai pas encore vu ce film, mais j’ai quelque expérience en terme d’immigration (grands-parents républicains espagnols, maris, sans compter mon expérience personnelle et professionnelle).
« les immigrés sont des oiseaux de mauvais augure : ils apportent des mauvaises nouvelles du monde »
c’est vrai qu’ils apportent de mauvaises nouvelles du monde, d’un monde dont les richesses sont exploitées éhontément par les pays riches (exploitation des mines africaines et sud-américaines, cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, pêche industrielle dans les eaux territoriales africaines et asiatiques, par exemple)
c’est vrai qu’ils portent témoignage d’un monde capitaliste, qui serait LA SEULE organisation économique possible... aussi vrai que chacun d’entre nous ne vit que dans le seul but d’écraser son voisin, son fils, son père (je ne parle pas des femmes : elles n’ont rien d’autre à faire que servir ces messieurs et se la fermer hermétique)
c’est vrai que ces gens emmerdent tous les "gens de bien", au sens que donnait à cette expression Henri Guillemin : CEUX QUI POSSEDENT DES BIENS, ainsi que leurs sbires et nervis influants en tout état de cause / journalistes, hommes politiques, qui ne manquent pas de conditionner - au sens psychiatrique du terme-les prolos, leurs frères de misère, contre eux.
OUI : « les immigrés sont des oiseaux de mauvais augure : ils apportent des mauvaises nouvelles du monde »