Capture d’écran

Les assises de TikTok

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c’est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. On y a envoyé en reportage exclusif la téméraire Constance Vilanova, pour une chronique mensuelle. Cette fois-ci : dans les eaux boueuses de TikTok, des avocats et des mascus.
Philémon Collafarina

« Et voilà, on y est encore, Diddy poursuivi par une ancienne membre d’un groupe, je suis son avocate et voici pourquoi ça doit vous intéresser. » Comme toute bonne tiktokeuse, Teny Geragos, la trentaine, a pris soin de détourer son visage grâce à l’effet « fond vert ». Ce format s’appelle un « react ». En second plan, un article du média people TMZ. Dans la soirée du 16 septembre 2024, Puff Daddy, producteur et rappeur a été interpellé par la police à New York. Il est accusé de violences et de trafic sexuels depuis un an. Les témoignages se comptent par centaines, dépeignant un système et une loi du silence gerbante. Alors, la défense de Puff Daddy s’organise sur les réseaux. Le 10 septembre, la chanteuse Dawn Richard porte plainte. Ex-participante de l’émission « Making the band », une téléréalité créée par le rappeur pour la chaîne MTV, Dawn Richard décrit des années de violences psychologiques et physiques. Le lendemain, Teny Geragos répond dans sa vidéo TikTok et diffuse des messages entre le producteur et sa victime. Classe.

Avant, les avocats s’appuyaient sur les tabloïds pour faire fuiter des informations sur la partie adverse. Aujourd’hui, c’est TikTok qui renverse l’opinion et sert de salle d’audience. Le point de bascule ? Le procès entre Johnny Depp et son ex-épouse, ­l’actrice Amber Heard, en 2022. Sujet trop « people » pour les médias généralistes, qui boudent les premiers jours d’audience. Dans leur angle mort, les masculinistes s’emparent de TikTok et le hashtag JusticeForJohnnyDepp déferle sur le réseau. 450 000 publications, des milliards de vues. En face #Istandwithamber (je défends Amber) fait peine à voir avec ses 6 200 posts. Malgré les preuves accablantes de violences subies par la jeune femme, Internet se range derrière Johnny.

Plus proche de nous, le procès Mazan s’est lui aussi déplacé sur les réseaux. Sa star : Nadia El Bouroumi, l’avocate de deux accusés, qui chronique les audiences sur son compte Instagram. Le 19 septembre, elle poste une vidéo d’elle, dansant dans sa voiture sur les paroles d’un morceau du groupe Wham !, « Wake me up before you go-go » (réveille-moi avant de partir). La pénaliste se défend d’avoir fait allusion à la soumission chimique dont a été victime Gisèle Pélicot quand ses deux clients l’ont violée…

La stratégie est toujours la même : faire des hommes violents des martyrs post­MeToo. Pour rappel, depuis son procès, Johnny Depp a été à l’affiche d’un film de Maïwenn et a renouvelé son contrat avec Dior, devenant l’égérie masculine de parfumerie la mieux payée de l’histoire. Amber Heard, elle, n’a plus de contrat. Rayée d’Hollywood, elle vit sous une fausse identité loin de ses proches. Merci les juristes de TikTok.

Par Constance Vilanova
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Cet article a été publié dans

CQFD n°235 (novembre 2024)

Ce mois-ci, on s’entretient avec une militante impliquée dans la révolte contre la vie chère en Martinique. Deux de nos reporters sillonnent le mur frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, sur fond de campagne présidentielle Trump VS Harris. On vous parle de l’austérité qui vient, des patrons qui votent RN, mais aussi de la lutte contre la LGV dans le Sud-Ouest et des sardinières de Douarnenez cent ans après leur grève mythique…

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Paru dans CQFD n°235 (novembre 2024)
Dans la rubrique Capture d’écran

Par Constance Vilanova
Illustré par Philémon Collafarina

Mis en ligne le 21.11.2024