Do It Yourself

« Le DIY est une révolution à mener aussi envers soi-même »

Le DIY (Do It Yourself), l’autoproduction totale, est un dur combat qui peut parfois casser des briques. Démarche militante ou loisir de riches ? Fred Alpi, chanteur et guitariste de The Angry Cats, nous fait part de son regard avisé sur une scène qu’il fréquente depuis plus de trente ans.

Une expérience des scènes alternatives européennes
Depuis la fin des années 1970, mon parcours de musicien m’a conduit à participer à plusieurs de ces scènes. Au début des années 1980, j’ai fait partie de l’association Front de l’Est, basée à Amiens, qui mettait la quasi-totalité des catalogues alternatifs mondiaux en vente par correspondance. Ce fut l’occasion de rencontrer de nombreux musiciens étrangers, ce qui a permis mon installation successive à Bruxelles puis à Berlin, où j’ai joué avec le groupe Sprung aus den Wolken. Alors que la scène alternative française restait principalement centrée sur des activités hexagonales jusque dans les années 1990, les groupes des pays voisins étaient beaucoup plus enclins aux contacts hors de leurs frontières. Grâce à cette énergie j’ai pu faire des concerts dans toute l’Europe.

Aujourd’hui, avec The Angry Cats, j’essaie de coller toujours à la démarche du Do It Yourself et de la contre-culture. C’est par ce biais que j’ai fait les plus belles rencontres de ma vie. J’y ai aussi croisé quelques ignobles crapules, prêtes aux plus répugnantes compromissions pour remplir leur tiroir-caisse, mais elles restent des exceptions. Le DIY est une révolution à mener en permanence aussi envers soi-même.

Les impasses matérielles d’une scène alternative
Viser l’autofinancement de sa musique, tout en essayant de contourner le système marchand, implique d’y consacrer tout le temps et l’énergie nécessaires. C’est pourquoi les organisateurs de concerts ou les labels alternatifs reproduisent, souvent malgré eux, le fait de se servir du maillon le plus faible de la chaîne de production comme variable d’ajustement. Dans le cadre d’une production de concert ou d’un enregistrement par exemple, tous les intervenants issus de l’univers marchand sont payés – location de salle, de sono, achat de boissons, pressage de CD/vinyles, location de studio, impression d’affiches et de tracts, etc. – , mais il est le plus souvent demandé aux artistes de venir jouer bénévolement contre la promesse d’une reconnaissance symbolique. Cela signifie concrètement de payer pour jouer, puisque la pratique de la musique n’échappe pas à des besoins tels que l’achat d’instruments, location de studios de répétition, frais de déplacement, etc.

Dans ces conditions, la pratique militante devient vite un loisir de riche. C’est une des raisons pour laquelle la démarche alternative est particulièrement usante, tant pour les organisateurs que pour les musiciens, qui ne peuvent le plus souvent tout simplement pas l’assumer financièrement très longtemps. Je me trouve dans ce dernier cas. La seule fois de ma vie où j’ai gagné de l’argent avec la musique, c’était au début des années 90 quand durant cinq ans, j’ai chanté dans le métro…

L’alternative demain ?
Même si quelques groupes se créent, la scène alternative actuelle n’est pas aussi active qu’elle a pu l’être il y a une quinzaine d’années. Il faut admettre que le punk-rock, désormais seule musique phare de cette mouvance, attire peu le public des 15/25 ans. Et sans cette dernière génération, il est impossible d’avoir une dynamique ancrée dans son époque. Avec le temps, le punk-rock a perdu une part de son aspect subversif, de sa créativité musicale et de son interaction politique et sociale avec le présent. La scène se sclérose, comme le font toutes les scènes musicales lorsqu’elles n’entretiennent qu’un entre-soi de nostalgiques. Cette scène pourra-t-elle renaître de ses cendres ? Comme presque toujours dans l’histoire des contre-cultures, une génération d’adolescent-e-s viendra sans doute, pleine de bruit et de fureur, comme celles qui l’ont précédée, briser les codes désormais académiques, voire muséifiés, des styles musicaux existants.

Histoire très sommaire de l’alterno

En France, l’un des premiers labels alternatifs a été Skydog, fondé par Marc Zermati, également manager de Bijou à l’époque. Il a d’ailleurs organisé les deux premiers festivals punks en France, en 1976 et 1977, à Mont-de-Marsan, avec des groupes anglais qui deviendront légendaires, comme Eddie & the Hot Rods ou The Damned en passant par Police, Dr Feelgood et The Clash, mais aussi les Français de Little Bob Story, Asphalt Jungle, Shakin’Street ou Marie et les Garçons. Une première vague de groupes français avec Starshooter, Métal Urbain, Stinky Toys, Bulldozer et les Olivensteins, précède la scène alternative des années 1980, qui prendra son essor sous l’impulsion des labels Bondage, animé par Marsu, ou New Rose de Patrick Mathé. De ce foisonnement, on peut citer les groupes les plus connus : Bérurier Noir, la Souris Déglinguée, Lucrate Milk, Ludwig von 88, puis la Mano Negra, Parabellum, Warum Joe, Les Garçons Bouchers, les Négresses Vertes, Les Wampas, Wunderbach ou Washington Dead Cats, etc.

La scène alternative française s’attache également dès le début des années 1980 à faire vivre d’autres styles musicaux que le punk-rock, plus influencés par la new-wave, grâce au label Visa, et les groupes Dazibao, Knikrik, Clair Obscur, Die Bunker et d’autres encore.

Toute l’Europe et les États-Unis connaissent ce mouvement axé sur les mêmes musiques avec des labels comme Crass (Crass), Industrial Records (Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Clock DVA, Leather Nun), Rough Trade (Stiff Little Fingers, Depeche Mode, The Fall, Cabaret Voltaire) en Grande-Bretagne, Subterranean Records (Dead Kennedys, Butthole Surfers) aux USA, les Disques du Crépuscule en Belgique ou ZickZack Records (X-Mal Deutschland, Einstürzende Neubauten, Mekanik Destrüktiw Komandöh) en Allemagne.

La décennie 1980 a été sans aucun doute l’âge d’or des mouvements alternatifs, avec un véritable réseau international de salles, de radios et de distribution d’albums fonctionnant en autoproduction de façon efficace. Les années qui suivent voient se professionnaliser les structures les mieux organisées, et disparaître les autres.

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1 commentaire
  • 16 juin 2017, 14:30

    Eddie & the Hot Rods n’est certainement pas un groupe légendaire. Depeche Mode c’est Mute Records, pas Rough Trade.

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