La Sdat s’emmerde

Lafarge, tu nous GAV

Le 5 juin dernier, une quinzaine de militant·es ont été arrêté·es dans le cadre de l’instruction judiciaire en cours concernant le sabotage de l’usine Lafarge en décembre 2022. Deux d’entre elles et eux racontent leurs interrogatoires orchestrés par la sous-direction antiterroriste. Rien que ça.
Illustration de Junie Briffaz

« D’après vos connaissances de la pensée arabo-musulmane, que pensez-vous du slogan “Lafarge + Daech = [cœur]” ? » « Les salariés de Lafarge sont-ils responsables du réchauffement climatique ? Faut-il des limites à la violence ?  » Ce ne sont pas les sujets du bac de philo mais l’interrogatoire de Cyprienne et Eudoxie*, deux des gardé·es à vue tarn-et-garonnaises de la rafle du 5 juin dernier dans l’affaire du sabotage de la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône) en décembre 2022. Contrairement à certain·es de leurs co-gardé·es à vue montreuillois·es, elles n’ont pas été interrogées sur le dernier concert d’Aya Nakamura ni la couleur de la planète Mars. Dommage, elles auraient peut-être eu quelque chose à déclarer. Car elles sont bien mutiques, ces supposées éco-activistes. L’OPJ1 est déçu. Devant Cyprienne, il déplore la décadence de la «  culture de l’aveu ». Tout fout le camp. « Maintenant, on est obligés de chercher des preuves… Vous pourriez peut-être juste dire “J’y étais” ? Vous comprenez, la consécration d’une enquête, c’est quand même l’aveu… » C’est vrai, c’est dommage. Nous aussi, on regrette le bon vieux temps où le type crachait le morceau à coups de grosses baffes dans la poire.

« Vous pourriez peut-être juste dire “J’y étais” ? Vous comprenez, la consécration d’une enquête, c’est quand même l’aveu… »

L’OPJ en chef du comico central de Toulouse chargé de l’affaire s’appelle Kevin* et lui par contre, il est bavard. Ce sont ses services qui ont arrêté Ivan (l’anar embastillé le 11 juin 2022 pour incendie de véhicules, en liberté provisoire depuis le 12 juin dernier). Il en tire une certaine satisfaction personnelle, et se montre tout surpris qu’il n’y ait pas de liens entre Ivan et Cyprienne, un peu pris en défaut dans sa connaissance des réseaux totoïdes. Jusque dans un ascenseur, ça cherche à débattre : Quid du phagocytage des luttes par les SLT ? Des accusations de verticalité ? Et le virilisme alors, en tant que nana, Eudoxie, elle en pense quoi ? Du bon mansplaining contre les comportements sexistes, on adore. Mais leur connaissance est toutefois assez approximative pour soupçonner le théoricien suédois Andreas Malm2 d’être le gourou de l’histoire. Pendant les auditions, l’interro-surprise sur l’auteur et la théorie du « désarmement » devient d’ailleurs lassante. Et depuis cette affaire, ce pauvre Malm est obligé de plaider dans les quotidiens nationaux qu’il n’est pas spécialement copain avec les SLT, qu’eux ne l’aiment pas spécialement, qu’il est un trotsko-pépouze et qu’on le laisse tranquille, à la fin3.

L’OPJ attitré de Cyprienne ne tarit pas d’éloges sur l’organisation aux petits oignons du sabotage. Car au fond, ce qu’il aimerait quand même bien comprendre, c’est : qui c’est, le Grand Schtroumpf de l’affaire Lafarge ? « Qui paye les combinaisons ? Les pinces coupantes ? » Et les tickets de bus, qui c’est qui paye les tickets de bus ? Parce que l’élément matériel déterminant dans la petite garde à vue de 80 heures de Cyprienne et d’Eudoxie, pour l’instant, c’est une photo censée les représenter dans un bus, en banlieue marseillaise. On comprend mieux la nostalgie de la culture de l’aveu. De temps à autre, l’OPJ d’un·e des gardé·es à vue d’à côté entre dans la salle d’audition et glisse à son collège un petit mensonge tactique : « Le mien a parlé, ça y est ! Pour la signalétique, c’est bon !  » Subtil, mais on ne peut pas leur en vouloir d’essayer. Surtout que des fois, ça marche. À les entendre, ces OPJ, leurs services seraient presque une organisation autonome philanthropique à but pacifiste. « On est là pour mettre des limites à l’activisme dans le respect du droit. Les ministres passent, mais nous on reste, on est indépendants. » Et vertueux, avec ça. « On est d’accord avec les idées, mais pas avec les moyens. » « Je milite au sein d’une association de défense des animaux sauvages. On sauve des serpents égarés. » Quoiqu’eux-mêmes soient un peu obsédés par le sujet de la téléphonie (rien ne leur échappe des échanges téléphoniques des suspect·es), ils se montrent également sensibles au fléau contemporain que constitue l’addiction aux écrans en général, et aux téléphones en particulier : « Votre téléphone était inactif tel jour à telle heure… Serait-ce de la… “déconnexion” ? » Évidemment.

« Vous comprenez, en terro islamiste, en ce moment, y a rien à faire. Ce qu’on a, c’est l’ultra-droite et l’ultra-gauche »

Cyprienne et Eudoxie seront relâchées sans être mises en examen. Pour le moment. Douce perversité ? Technique kafkaïenne pour casser les mouvements écolos ? À moins que la garde à vue ne soit en passe de devenir une méthode d’investigation sociologique ? Comme le dira un OPJ : «  Vous comprenez, en terro islamiste, en ce moment, y a rien à faire. Ce qu’on a, c’est l’ultra-droite et l’ultra-gauche. Et d’ailleurs, ça nous passionne !  » Intéressée, Cyprienne cherche à savoir : « Et alors, l’ultra-droite, en ce moment, ça mord ? » Réponse de l’OPJ : « Vous inquiétez pas, ils ne sont pas beaucoup plus que vous. » Ce qui les a au contraire beaucoup inquiétées.

Par Ororo Munroe

* Les prénoms ont été modifiés.


1 Officier de police judiciaire.

2 Notamment auteur de Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°222 (juillet-août-septembre 2023)

Le dossier du mois n’est pas vraiment un dossier, plutôt une respiration estivale dans la grisaille sociale, à base de jeux de bon aloi, type « carte anti-touristique de Marseille » ou grand test « quel type de gentrificateur êtes-vous ». Du costaud pour frimer sur la plage. Pour le reste, on y cause étincelles & émeutes, Soulèvements de la terre en Maurienne, répression pseudo-anti-terroriste, mysticisme techno-sécuritaire ou chevauchées de Makhno. Du rire et des larmes de rage, quoi, au dosage millimétré.

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