CQFD

Cap sur l’utopie

« La liberté ou rien » (Emma Goldman)


paru dans CQFD n°208 (avril 2022), par Noël Godin
mis en ligne le 27/05/2022 - commentaires

Grâce à la sympatoche collection « Graine d’ananar » des éditions du Monde libertaire, on a pu s’encanailler ces dernières années avec quelques francs-tireuses fort méconnues de l’histoire de l’anarcho-féminisme : l’agitatrice Margarethe Faas-Hardegger, le pivot de l’organisation espagnole Mujeres Libres Sara Berenguer, la sulfureuse poétesse Lucía Sánchez Saorniel. Les galopins de la Fédération anarchiste ne s’en sont pas tenus là : en février 2021, ils ont consacré dans le même format un opuscule à une autre bouillante amazone de la révolte anti-autoritaire, Sugako Kanno, sur laquelle on ne savait pas grand-chose. La monographie, titrée Sugako Kanno – Les derniers mots d’une intrépide, est prise en main avec vigueur par Aurélien Roulland. Le larron nous explique pourquoi notre activiste nipponne a pu être dépeinte en 1911 par le canard français Les Temps nouveaux comme étant « la femme la plus intrépide que l’Orient ait jamais connue ».

Sugako Kanno naît le 7 juin 1881 dans l’arrondissement de Kita-ku, à Osaka. Son père est à la fois petit exploitant minier, samouraï et parlementaire. Sa belle-mère la déclare possédée par le diable pour la simple raison qu’elle a été engendrée l’année du Serpent. Sugako refuse d’entrer à l’école secondaire, est violée à l’âge de 15 ans, revit ça deux ans plus tard par le biais d’un mariage forcé, est convertie au socialisme par la pionnière du mouvement féministo-pacifiste au Japon Akiko Yosano, se jette à bras-le-corps dans la bataille antipatriarcale et le journalisme incendiaire, publie en 1903 le roman antimilitariste Rupture, s’insurge violemment en 1904 contre la guerre russo-japonaise, devient une grande prêtresse de l’amour libre, fonde avec quelques compagnes déchaînées la revue Femmes du monde (Sekai Fujin) – qui s’adresse aux travailleuses aussi bien des mines que des maisons closes sans mâcher ses mots. « Parmi les nombreuses choses ennuyeuses de ce monde, je pense que les hommes sont les plus ennuyeux. » « Insurgez-vous, femmes  ! Réveillez-vous  ! […] Nos revendications de liberté et d’égalité avec les hommes ne seront pas gagnées si aucun sang n’est versé. »

En 1908, à Tokyo, c’est « l’incident du drapeau rouge », nom donné à un grand rassemblement anarcho-socialiste très « rock n’roll », précise Aurélien Roulland, qui est férocement réprimé. À cette occasion, Sugako Kanno écope de trois mois de prison et d’un début de tuberculose, puis se tourne vers l’action directe grand cru en proclamant qu’elle désire « un acte de violence qui ferait trembler la nation entière sur ses fondations symboliques ». Par exemple, l’assassinat à la bombe de son altesse l’empereur Meiji, qu’elle prépare consciencieusement. Fin 1908, la pasionaria entame une liaison incandescente avec le Bakounine japonais Shūsui Kōtoku « afin de voir enfin s’effectuer des changements politiques », et se retrouve embastillée manu militari aux côtés de 25 autres accusés – tous des hommes – pour avoir conspiré contre la vie de l’empereur du Soleil levant. Le procès des activistes sera, on s’en doute, une mascarade destinée à « semer la terreur au sein du mouvement anarchiste ». Sugako et douze de ses comparses seront condamnés à mort. En sortant de la salle du tribunal, la diablesse s’écriera : » Nous vous demandons pardon de vous avoir dérangés. »

[/Noël Godin/]



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