Wouf t’es mort

La crevette, le bretzel et les cabots de Johnny Joe

En matière de camarades de luttes improvisés, on connaissait le bretzel qui a tenté d’étouffer Bush Jr. ou la crevette anti-Bolsonaro. Il faut désormais compter avec les camarades canins d’un certain Johnny Joe, nous raconte Chien Noir dans cette nouvelle inédite.

Avec Karim, on était posés pépouzes sur un banc de La Plaine, binouzes en main, à discuter des mérites discutés de la crevette et du bretzel en matière de tentative d’assassinat de despotes réactionnaires...

Oui mais la crevette a perforé l’intestin de Bolsonaro, quand même !
T’es trop jeune pour te souvenir, gars, mais le bretzel a raté d’un cheveu l’étouffement de Bush Junior ! Un cador, ce bretzel !

… quand Johnny Joe a débarqué en titubant.

Johnny Joe, c’est à la fois une calamité et une figure respectée du quartier. Il est connu pour être sacrément relou quand il a trop tisé – souvent – et en même temps foncièrement gentil ainsi que le pire emmerdeur de flics dès que l’occasion se présente. Un mal pour deux biens. Vu qu’il était visiblement bien pompette, il était pas question de le laisser s’immiscer. Mais il nous a illico coupé le sifflet :

« Les gars, vous êtes au courant ? Macron est mort ! »

Nos deux bouches en o.

O O

Et lui d’en rajouter une couche :

« Il a bouffé un truc pas frais, je crois. Déjà hier il avait une grosse diarrhée. »

O O

Puis le doute m’a saisi :

« Dis, Johnny Boy, tu serais pas en train de nous parler de ton clébard ? »

«  Bah ouais, bien sûr. Rien à battre de l’autre abruti. Alors que Macron, mon chouchou d’amour, il va me manquer gros comme ça. »

Et d’étendre ses bras couturés en grand pour montrer l’étendue de son chagrin.

Faut l’avouer : Johnny Joe est parfois drôle. Ça fait quelques mois que ce cinquantenaire fatigué de lointaine ascendance anglaise s’occupe de ladite serpillière canine, mi-chihuahua mi-dragon. Laquelle n’est que la dernière d’une longue liste de créatures dégénérées aux destins généralement aussi agités qu’éphémères. Et son truc à Johnny c’est de les affubler d’un nom de personnalité qu’il déteste, histoire de pouvoir donner des ordres aux grands de ce monde en tout impunité – au pied De Gaulle ! Là où c’est complexe, c’est que ça varie selon ses haines du moment. Feu le cabot en question s’est ainsi appelé Darmanin, Boris Johnson ou Hanouna. Et donc depuis peu et jusqu’à sa mort : Macron.

L’ascenseur émotionnel digéré, on allait lui tapoter l’épaule et lui glisser quelques mots consolateurs avant de le renvoyer vaquer à ses 8.6, quand il a ajouté un commentaire bigrement inattendu : « Le plus étrange là-dedans, c’est qu’il est mort quelques heures avant le Président. »

« Macron ? »

« Bah oui. Qui d’autre ? Tout le monde ne parle que de ça. »

Quand on a sorti nos écrans de poche, on n’a pu que constater la justesse de l’information, laquelle s’étalait en gros titres sur tous les coins du web – une sombre histoire de glissade sous coke dans la baignoire présidentielle.

Un ange est passé en vacillant, mi guilleret mi stupéfait – en gros, on hésitait entre trinquer à la mort du psychopathe autoritaire et pousser un grand « cheh » retentissant.

Puis Karim a tiqué, soudain grave :

« Dis, ton chien d’avant, le rottweiler cinglé, là, tu l’appelais bien Thatcher, hein ? »

« Ouaip. Une super bête, gentille et tout... »

« Et si je me souviens bien, quand Riton l’a écrasé en sortant les caisses de bière du Marengo, c’était justement le jour où la vipère anglaise est morte, nan ? Même que les semaines suivantes le Riton hésitait entre consternation pour ton clébard et fierté, convaincu que c’était un peu la faute de sa maladresse si Thatcher était morte... »

« Ah, maintenant que tu le dis... »

O O

Bah merde alors.

Avec Karim, on s’est regardés mi-figue mi-steak, entre deux eaux, presque gênés. Ça pouvait être qu’une coïncidence, forcément. Mais quand même : c’était chelou.

Le lendemain, faute de meilleur programme, on est allé assister à la cérémonie funéraire de Macron, sous les magnolias de la place Jean Jaurès, aka la Plaine. Flottait dans l’air un poisseux fumet de lose post-mortem, d’enterrement à la Mozart – pas la folle affluence, quoi, hormis Sainte Rita, la patronne du Marengo, et deux épaves à crêtes roses qu’on avait jamais vus et s’écharpaient sur un banc à propos d’Elon Musk. Muni d’une bêche rouillée, Johnny Joe a creusé un trou pendant qu’on faisait le guet, puis il a pris le sac plastique contenant Macron et prononcé un rapide laïus où revenait trois fois l’expression « meilleur ami de l’homme et de ma pomme ». Ensuite, tout a dégénéré. Faut dire qu’on procédait sous l’œil d’une des caméras de la place – difficile de faire plus grillé.

C’est au moment où Johnny allait placer Macron dans le trou mortuaire que quatre gusses de la BAC ont déboulé façon Starsky et Hutch – crissements de pneus et paroles testostérone –, menés par ce fou dangereux de Nénesse la Matraque. Ça a pas tardé à monter dans les tours, avec Macron volant dans les airs en direction du tarin de Nénesse et noms d’oiseaux en pagaille. Résultat : Johnny s’est fait embarquer et Macron a fini à la poubelle.

Classic shit.

Trois semaines plus tard, je buvais un café en terrasse en insultant les infos de La Provence quand le nouveau chien saucisse de Johnny, comme de juste baptisé Nénesse la Matraque, s’est fait écrabouiller sous mes yeux par un camion citerne égaré sur la Plaine. Pas beau à voir. Cette fois-ci, il n’a pas été question d’enterrement en grande pompe – Nénesse ayant tout de la galette peu ragoûtante, c’est les éboueurs qui l’ont inhumé. Et moi j’ai passé la matinée avec un Johnny larmoyant, à l’écouter raconter les moments de grâce de sa vie avec feu Nénesse et les tours incroyables que ladite saucisse était capable de réaliser.

C’est quelques heures plus tard que Karim a débarqué dans le troquet. Comme j’étais un peu parti, j’ai mis du temps à calculer qu’il était dans un état d’agitation assez marqué. Pâle, les mains tremblantes, il m’a fait signe de le suivre dehors pour griller une clope.

«  Tu vas pas me croire, gars... Devine quel baceux vient de calancher en se viandant dans l’escalier du comico ? »

O O

À partir de là, on a tous les deux glissé dans une parano assez marquée. En gros : on flippait nos races. Plus question de coïncidence, désormais. D’autant qu’une discussion avec Johnny nous a vite prouvé qu’il y avait eu d’autres cas dans les dernières années : Jean-Luc Delarue, par exemple, via chien-loup pendu au bout de sa laisse ; ou même David Bowie (dont ce con de Johnny était jaloux), par l’intermédiaire d’un bichon frisé atrabilaire tombé à la mer un soir de tempête aux Goudes. Étrangement, Johnny, qui est tout sauf bête quand il est sobre, n’a jamais fait le rapprochement entre le blaze de ses médors calanchés et les personnalités fauchées dans la foulée par la Camarde – une sorte de déni cosmique, qu’on n’a pas eu le cœur de dissiper.

Quoiqu’il en soit, le constat était clair : le destin, piteux fumiste, avait mis entre les mains crevassés de Johnny Joe l’arme d’assassinat individuel la plus implacable et anonyme de toute l’histoire de l’humanité. La plus absurde aussi. Quel Dieu farfelu avait pu concocter un sortilège aussi débile ? Et pourquoi les clébards de Johnny Joe ?

La réponse, on l’a jamais eu. On l’aura jamais. Ballec’.

Ce qui est sûr, c’est qu’une fois le flip digéré, avec Karim on est soudain devenus plus sérieux. On a arrêté de picoler et de déconner. Et on s’est beaucoup rapprochés de Johnny. Même que désormais on est inséparables tous les trois. Enfin, tous les quatre, plutôt. On adore partir en balade avec notre nouveau meilleur ami et sa nouvelle serpillière à poils roses. Et lui nous est tellement reconnaissant qu’il a accepté qu’on prenne en charge le choix du nom dudit quadrupède miteux.

Un sacré honneur...

On a beaucoup réfléchi. De pleines nuits de discussions endiablées. Crevette ou bretzel ? Z comme Zorglub ou B comme Bolso ? Assado ou Blanquette ? Peste ou choléra ? Omicron ou Delta ?

Finalement, on a dressé une liste de quelques malfaisants et malfaisantes en tentant de se focaliser sur les répercussions politiques et humaines plutôt que sur nos haines personnelles (Obispo et Vianney out, donc), puis on a tiré au sort. De toute manière, il y aura d’autres rounds, c’est écrit.

Qui est l’élu(e) ?

Oh, vous le saurez bien assez tôt.

D’ailleurs, je dois vous laisser. On un super programme pour la journée : direction le Marineland d’Antibe et le bassin aux orques, que Johnny Joe a toujours rêvé de saluer. Je vous rassure : on fera bien gaffe à son compagnon quadrupède. Ce serait dommage qu’il se fasse boulotter par un épaulard.

Et puis ensuite, sur la route du retour, on fera un détour par le chenil histoire d’agrandir la famille. Un seul cabot pour Johnny Joe ? C’est peu, vraiment trop peu. Il est temps pour lui de se doter d’une véritable armada canine. Le meilleur ami de l’homme, qu’il dit. Et nous, on commence à y croire...

On peut lire d’autres nouvelles de Chien Noir sur son site, chien-noir.org.

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