Syndicat non grata

La Poste, zone de non-droit syndical

À La Poste, la répression des syndicalistes n’est pas une nouveauté. Mais depuis plusieurs mois, la direction semble s’être lancée dans une frénétique chasse aux militants. Des entraves à l’exercice du droit syndical que dénoncent des postiers Sud et CGT.
Illustration de François Hedin

« J’ai la colère qui me monte  ! » D’une voix à faire trembler les murs de l’hôtel des Postes de Marseille, Yann Quay-Bizet, secrétaire départemental adjoint du syndicat Sud PTT 13, galvanise l’assemblée : « Plus tu nous réprimes, plus tu renforces l’expression de la solidarité, le ciment, notre cohésion  ! » Militants Sud et CGT, salariés, sympathisants… En tout, ce vendredi 4 mars, une centaine de personnes sont venues soutenir le syndicaliste, convoqué en conseil de discipline pour « exercice du droit syndical perturbant le fonctionnement normal des services ». Un grief qu’il revendique : « C’est plutôt sain pour un syndicaliste de perturber le fonctionnement d’un service quand c’est nécessaire... » La direction départementale de La Poste réclamait quatre semaines de mise à pied avec privation de salaire, le travailleur s’en tirera avec une semaine de suspension.

À La Poste, le cas de Yann Quay-Bizet est loin d’être unique. Des Bouches-du-Rhône au Calvados, en passant par les Hauts-de-Seine, la Gironde ou La Réunion, ce type de procédures se multiplie. Si bien que le syndicat Sud dénonce une « répression sans précédent ». Blâmes, conseils de discipline, entretiens préalables à un licenciement, demandes de révocation de la fonction publique… « Depuis l’automne 2021, la séquence est remarquable », assure Yann Le Merrer, de Sud PTT. Entré à La Poste en 1999, il a lui-même été révoqué pour des faits syndicaux en janvier 2015 1.

Entre la charge de travail qui augmente et les salaires qui stagnent, les postiers et postières ne manquent pas de raisons de monter au créneau. En face, pour réprimer celles et ceux qui luttent contre la dégradation des conditions de travail, la direction invoque la tenue d’assemblées générales, des prises de parole, des débrayages, des appels à la grève… autant d’éléments qui relèvent en fait de l’exercice classique du droit syndical. Eddy Talbot, membre de Sud PTT depuis près de vingt ans, est sidéré : « On ne parle pas de l’occupation d’une direction, mais de syndicalistes qui font une tournée des bureaux  ; qui prennent la parole comme ils l’ont toujours fait. Ils font leur boulot, ils ne mettent pas le feu aux locaux », insiste-t-il avant de lâcher : « Je n’ai jamais vu autant de répression en si peu de temps. »

Une accusation que l’entreprise, contactée par la rédaction, dément fermement : « Il n’existe aucune répression syndicale à La Poste, qui mène des discussions régulières avec les représentants du personnel et donne toute sa place au dialogue social », affirme son service com.

Cassez ces militants que je ne saurais voir

Circulez, il n’y a rien à voir ? Pourtant, en octobre 2021, douze factrices et facteurs de Nanterre (Hauts-de-Seine) auraient été menacés de licenciement pour avoir exercé leur droit de retrait2. Deux mois plus tard, la section CGT du Calvados fait savoir sur Facebook que deux syndicalistes, Antoine Solo et Christophe Musslé, risquent respectivement un licenciement et une révocation de la fonction publique pour une « soi-disant fraude » aux frais kilométriques. En janvier 2022, Julien Colas et Willy Dhellemmes, deux militants Sud PTT Gironde se retrouvent à leur tour sous le coup de procédures disciplinaires, pour avoir pris la parole devant leurs collègues sans en informer la direction3, alors même que rien ne les y obligeait. Dans les Yvelines, le 8 février dernier, la police est appelée pour expulser du centre de tri Vincent Fournier, secrétaire départemental de Sud Poste 78, au prétexte qu’il échange avec ses collègues en salle de pause4.

À La Réunion, on bascule dans l’ubuesque. Le 10 février dernier, Samuel Moutama, secrétaire adjoint de Sud PTT Réunion, « militant tranquille » d’après ses collègues, prend la parole devant les factrices et facteurs de Saint-Denis. La directrice de l’établissement déboule et l’attrape par le bras. En se retournant, Samuel se tord le genou. Après avoir signalé en interne l’attitude de la cheffe d’établissement, il est convoqué par le responsable des ressources humaines pour « dénonciation calomnieuse5 » et « prise de parole non autorisée ». Samuel porte plainte. D’après Sud PTT, son avocat aurait découvert que les vidéos des trois caméras saisies par l’huissier de justice et la police, auraient été amputées de la scène en question. Qu’importe : le 23 mars, Samuel Moutama est convoqué en conseil de discipline pour « allégation mensongère ayant eu pour but de nuire à une cadre6 ». À l’issue de la procédure, le postier risque bel et bien la lourde, après plus de vingt années de service sans accroc.

Une politique d’entreprise

Pourtant, d’après Eddy Talbot, « La Poste sait très bien qu’en virant des gens, elle perdra devant le tribunal administratif ou les prud’hommes. Mais elle le fait quand même, parce que ça fout les jetons aux collègues ». L’ancien facteur se remémore : « Il y a dix-quinze ans, quand il y avait un problème avec un taulier, on montait à trente et on s’asseyait sur le bureau. Aujourd’hui, on se ferait accuser de séquestration  ! »

Selon Yann Le Merrer, ce tournant s’inscrit dans « un continuum, une politique d’entreprise ». Baisse des effectifs, recours massif à la sous-traitance et à l’embauche de travailleurs précaires en CDD ou en intérim, restructurations incessantes de l’organisation du travail… « Ils sont en train de tronçonner le secteur du courrier », dénonce de son côté Yann Quay-Bizet. Et de tenter de museler celles et ceux qui s’élèvent contre la casse de la branche Services-courrier-colis...

Il en faudrait pourtant plus pour démobiliser les troupes : les syndicalistes Sud et CGT réprimés tiennent bon, proposant même la création d’un Comité de vigilance pour les libertés à La Poste. Une résistance à la hauteur de l’enjeu car, comme le rappelle Eddy Talbot, « l’État est un actionnaire stratégique de La Poste, qui devient une zone de non-droit syndical. Ce n’est pas possible ».

L’arbre qui cache la forêt

Si La Poste « coupe les têtes qui dépassent », d’après l’expression de Yann Quay-Bizet, « ce n’est que l’arbre qui cache la forêt ». Yann Le Merrer abonde : derrière les coups de pression aux syndicats, il pointe la question de la répression « invisible ». « Beaucoup de collègues non syndiqués se voient infliger des sanctions, comme des blâmes d’une semaine, pour être intervenus pendant les briefs matinaux  ! »

Conséquences : « C’est compliqué de mobiliser des travailleurs qui ont la tête sous l’eau, bossent dans des conditions de travail dégueulasses, et voient que les militants en prennent plein la gueule… », déplore Eddy Talbot. Pour les syndicats, l’enjeu est désormais de créer une convergence entre le combat contre la répression et celui contre la dégradation des conditions de travail et la casse du service public.

« En 2022, le groupe poursuivra la mise en œuvre de son plan stratégique “La Poste 2030, engagée pour vous” », annonce cyniquement le site de l’entreprise, qui a supprimé 13 045 postes à la maison mère en 20207 tout en affichant l’année suivante un bénéfice net de 2,1 millions d’euros. « Engagés », les militants syndicaux le sont aussi. Poing levé et feu aux tripes, on les entend d’ici scander : « Ré-sis-tance  ! »

Lily La Fronde

1 Avant d’être réintégré en 2017 sur décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise).

5 « Homme du jour : Samuel Moutama », L’Humanité (24/02/2022).

7 D’après les chiffres de Sud PTT.

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CQFD n°209 (mai 2022)

Dans ce numéro de mai promettant de continuer à « mordre et tenir », un dossier de douze pages sur le murs tachés de sang de la forteresse Europe, avec incursion au nord de la Serbie. Mais aussi : un retour sur les racines autoritaires de la Ve République, une dissection des dérives anti-syndicalistes de La Poste, un panorama de la psychanalyse version gauchisme, une « putain de chronique » parlant d’amour, un éloge du piratage de France Inter, des figues, des utopies, des envolées…

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