Un vendredi à Jérusalem
« J’ai tué un arabe ! »
L’HOMME AURAIT FONCÉ sur des policiers israéliens avec son véhicule et se serait enfui à pied, le soldat a tiré car il craignait que le suspect ne porte une ceinture d’explosifs… Ramzi était un ami de Ziad Joulani, il raconte ce qui s’est passé : « C’était peu après l’évènement de la Flottille et un groupe de jeunes Palestiniens manifestait en brandissant des drapeaux turcs, tout à fait pacifiquement. La police, la police des frontières et la police spéciale étaient là. Ils ont mis en place un check-point volant à l’entrée du quartier. Ziad, comme tous les vendredis après la prière, rendait visite à son oncle et sa tante. Il ignorait tout du blocage du quartier. Des gamins jetaient alors des cailloux sur les soldats du check-point. Une pierre a heurté sa camionnette, il a fait un écart, et soudain un des soldats a crié qu’il cherchait à les tuer. Ils ont tiré, il a été blessé au bras. Quant il est descendu de son véhicule, il a couru vers la maison de son oncle et a reçu deux autres balles qui l’ont fait tomber à terre. Ceux qui ont tenté de lui porter secours, dont son cousin, ont été tabassés à coups de crosse et n’ont pu approcher. Un soldat s’est ensuite avancé et a visé sa tête à bout portant par deux fois, ainsi que son ventre. Il a ensuite dansé autour du corps et sauté de joie en chantant :“Haragti aravi ! Haragti aravi ! 1” »
En quelques instants, les forces de police étaient sur place, en nombre : 250 soldats, six véhicules, un hélicoptère et huit policiers à cheval. Comme c’était l’heure de sortie de la prière, des affrontements ont rapidement
opposé l’armée à une foule nombreuse, qui a été dispersée à coup de tirs de balles en caoutchouc, faisant des blessés. L’ambulance du Croissant-Rouge a été bloquée par l’armée, les Israéliens ont tenté d’enlever le blessé dans une ambulance militaire. Mais la foule l’a repris de force. Il est décédé sur la route de l’hôpital à 14 h 05,dans les bras de son cousin. Trois heures après, il était enterré dans le cimetière derrière la mosquée al-Aqsa.
« Ziad était un ami, poursuit Ramzi,on buvait souvent le thé ou le café ensemble dans sa boutique. C’était un homme sans histoires. Il a été tué à Wadi al-Joz,un de ces vendredis tendus comme c’est le cas dans tous les quartiers proches de l’Esplanade chaque vendredi depuis l’inauguration de la synagogue, il y a trois mois et demi. » La synagogue en question, c’est celle de la Hourva, dans le quartier juif de la vieille ville. Détruite par les Jordaniens en 1967, sa reconstruction constitue une étape-clé dans le programme de judaïsation de Jérusalem. Selon des prophéties juives, son inauguration sera suivie de près par la reconstruction du Temple, le grand rêve sioniste. Vaste entreprise, qui pourrait sembler utopique si la mosquée al-Aqsa ne reposait pas aujourd’hui sur un sous-sol fragilisé, troué comme un gruyère, sous prétexte de « fouilles archéologiques ».
On assiste de plus en plus souvent dans la vieille ville à des manifestations massives de colons scandant des slogans antimusulmans. Chaque vendredi, les hommes de moins de 45 ans sont empêchés de venir prier par l’armée. Et la colonisation va bon train : Silwan, Ras al-Amoud… L’ambiance dans ces quartiers arabes voisins de l’Esplanade est souvent tendue. D’autant que la police israélienne sait comment mettre le feu aux poudres. Les déploiements policiers sont toujours ressentis par la jeunesse comme une provocation. Et c’est justement ce qui s’est passé le jour où Ziad a été tué. Le niveau d’alerte était très élevé car Israël craignait des manifestations en réaction à son assaut meurtrier contre la Flottille de la liberté…
Ziad était marié à une Américaine, père de trois enfants. Il avait la Carte verte. Le soldat a avoué avoir tiré à bout portant. Il a été félicité. Aucune excuse ou condoléances n’ont été présentées à la famille. Le consulat américain n’a pas demandé d’enquête. Mais la famille de Ziad et sa femme n’entendent pas lâcher l’affaire. Ils iront jusqu’au bout, au tribunal. Et ça, c’est nouveau. Des assassinats de sang-froid, il y en a eu souvent à Jérusalem,mais les familles n’ont jamais encore porté plainte. Quand on demande à Ramzi pourquoi des choses pareilles arrivent, il répond : « Gaza est loin et épuisée. La Cisjordanie est collaboratrice, mais Jérusalem reste Jérusalem. Avant, Jérusalem tirait sa force de la Cisjordanie ou de Gaza, mais depuis Oslo elle se trouve isolée. Les gens en Cisjordanie sont tombés dans le piège de la consommation et des crédits ; pour eux l’économie est devenue plus importante que la politique. Ils ne pensent plus à Jérusalem. Le gouvernement israélien veut terroriser les habitants arabes de la ville. Et surtout provoquer les quartiers proches d’al-Aqsa. »
Interrogé sur le pourquoi et le comment d’un tel acte, Abu Ahmad, un proche, explique : « Je vais te raconter une histoire. À l’époque où je tenais une bijouterie dans la vieille ville – je vendais des bijoux en or à 21 carats –, j’avais pour fournisseur un juif syrien originaire d’Alep. Nous étions devenus bons amis, nous nous rendions visite. Un jour qu’il était sorti, sa femme me pria de patienter dix minutes le temps qu’il rentre, cela ne posait pas de problème que je sois seul avec elle. Leur fils de 6 ans, vêtu d’une tenue militaire kaki et armé d’un pistolet en plastique, voulut jouer avec moi. Sa mère, qui me parlait en arabe, me pria de lui demander en hébreu à quel jeu il jouait. L’enfant me répondit : “Je tue des Arabes !” “Voilà, me dit sa mère, ce qu’on leur apprend à l’école en Israël…” Crois-moi, dès le jardin d’enfants, on commence à leur inculquer la haine de l’Arabe ! »
1 En hébreu, « J’ai tué un Arabe ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°80 (juillet-août 2010)
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Paru dans CQFD n°80 (juillet-août 2010)
Par
Illustré par Lindingre
Mis en ligne le 25.09.2010