Territoire espagnol
Grève lucide pour la Palestine
Après le succès du boycott de la compétition cycliste espagnole La Vuelta1, le mouvement solidaire envers le peuple palestinien avait deux options : soit continuer le combat contre le génocide soit baisser les bras. Malgré les résistances des deux plus grosses bureaucraties syndicales, Comisiones Obreras et l’Unión General de Trabajadores (UGT), proches du patronat et du gouvernement de Sánchez, les syndicalistes combatifs ont su imposer la première option : une grève, aussi exceptionnelle qu’expérimentale, puisque l’Espagne n’a pas connu de grève générale à l’échelle nationale depuis 2012.
La mobilisation ne s’inscrit pas seulement en solidarité avec le peuple palestinien, mais signale aussi un ras-le-bol généralisé contre le capitalisme et l’impérialisme. En guise d’illustration du double jeu des socialistes à la tête du gouvernement espagnol : el famoso décret royal du 24 septembre dernier. Alors qu’il était censé prévoir un embargo sur le matériel militaire en provenance et à destination d’Israël, en réalité, le décret n’inclut le transit d’armes ni par voies aériennes au sein des bases militaires états-uniennes installées en Espagne, ni celui par voies navales via le détroit de Gibraltar. Drôle d’embargo… qui montre que le gouvernement espagnol est bel et bien un solide partenaire d’Israël.
Alors que depuis octobre 2023, Pedro Sánchez, membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et président du gouvernement, multiplie les appels au cessez-le-feu, l’Espagne reste le premier client d’Israël au sein de l’Union européenne dans l’importation d’armement. Entre octobre 2023 et mai 2025, la Chambre de commerce espagnole chiffrait ces opérations à plus de 54 millions2. Et pour ce même mois de mai, l’État espagnol a capté 78 % des exportations d’Israël vers l’Europe.
Et la solidarité entre impérialistes ne s’arrête pas là. Israël joue un rôle incontournable dans la crise du logement espagnol : de nombreux bâtiments historiques des grandes villes (Barcelone3, Malaga) ont été vendus à des fonds d’investissement privés israéliens. Inversement, l’entreprise basque Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles est impliquée dans la construction de voies ferrées dans les colonies israéliennes en Cisjordanie4. Comme le dit Elias, militant étudiant madrilène de Contracorriente5 rencontré lors d’une conférence sur la Palestine à Getafe, « la Palestine est devenue le Vietnam de la génération Z, le symbole qui concentre la synthèse de la crise du système capitaliste, la méfiance envers les gouvernements et les entreprises ».
Tandis que les manifestations propalestiniennes des 3, 4 et 5 octobre étaient réellement massives, le bilan du 15 reste mitigé. La grève a été bien peu suivie à Madrid. En contrepartie, succès dans les territoires à forte tradition ouvrière. À Euskal Herria (Pays basque), le nombre de grévistes est estimé par les syndicats autour de 100 000 personnes, la plupart dans le secteur de l’éducation, le secteur portuaire de Bilbao ainsi que dans des entreprises impliquées dans le génocide comme Unilever ou Pepsi. En Països Catalans (Catalogne), le suivi de la grève a été significatif dans les facs et les docks. Le taux de mobilisation est aussi variable selon les secteurs, celui de l’éducation en tête.
La réticence des bureaucraties syndicales immobilistes de Comisiones Obreras et UGT à faire grève en la retardant le plus possible s’est vite fait ressentir dans les forces militantes, déjà un peu essoufflées le 15 octobre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : tandis que la manif’ madrilène du 4 octobre comptait 100 000 manifestants, celle du 15 en comptait à peine 70 000… Pour de nombreux militants comme Elias, la date du 15 était trop tardive et il aurait été préférable d’appeler à la grève générale le 4 octobre, plus proche des dates des grèves italiennes et françaises.
Deux bonnes nouvelles cependant. D’abord, la réactivation du mouvement étudiant, solidaire des syndicalistes comme de la Palestine, illustré par le piquet conjoint entre les grévistes d’Airbus et les étudiants de l’université Carlos 3, le 5 octobre à Getafe. Mais aussi la revitalisation du syndicalisme combatif à l’initiative de cette grève : ces dernières années, une panoplie de petits syndicats indépendantistes (basques, catalans ou andalous), anarcho-syndicalistes ou trotskystes ont vu leur nombre d’adhérents augmenter. Espoir d’un regain combatif dans le pays ? Une nouvelle date paraît s’annoncer : 29 novembre…
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Lire « La Vuelta gagnée par le mouvement pro-Palestine en Espagne », CQFD n° 245 (octobre 2025).
2 Les analyses détaillées par secteur d’activité et par pays sont disponibles sur le site officiel de DataComEx : datacomex.comercio.es
3 Voir le rapport « Complicitats del sector immobiliari i turístic de Catalunya amb l’ocupació de Palestina », publié par l’ODHE (mars 2025).
4 « Colaborar con la ocupación israelí se convierte en un mal negocio para las empresas españolas », El Salto (5/09/2025).
5 Une organisation marxiste trotskyste étudiante.
Cet article a été publié dans
CQFD n°246 (novembre 2025)
Ce numéro de novembre s’attaque de front à la montée de l’extrême droite et à ses multiples offensives dans le milieu associatif et culturelle. On enquête sur les manœuvres des milliardaires réactionnaires, l’entrisme dans la culture et les assauts contre les assos dans le dossier central. Hors-dossier, on vous parle des les alliances nauséabondes entre hooligans, criminels et pouvoir en Serbie, on prend des nouvelles des luttes, de Bruxelles aux États-Unis, en faisant un détour par Exarchia et par la Fada Pride qui renaît à Marseille. Et pendant qu’on documente la bagarre, le Chien rouge tire la langue : nos caisses sont vides. On lance donc une grande campagne de dons. Objectif : 30 000 euros, pour continuer à enquêter, raconter, aboyer. CQFD compte sur vous !
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Paru dans CQFD n°246 (novembre 2025)
Par
Illustré par Alex Less
Mis en ligne le 26.11.2025
Dans CQFD n°246 (novembre 2025)



