La Françafrique aux urnes
Élections, pièges de colons
L’été dernier, quand un coup d’État renverse le président nigérien Mohamed Bazoum, l’Élysée s’indigne et réclame à tue-tête « la restauration de l’intégrité démocratique ». Deux ans plus tôt, Emmanuel Macron s’était pourtant rendu en personne à N’Djamena afin d’adouber le nouveau dictateur tchadien, Mahamat Idriss Déby. La France n’avait pas protesté non plus quand, fin 2020 au Niger, le principal opposant à Mohamed Bazoum avait été empêché de participer à la présidentielle pour des motifs juridiques douteux.
Dans leur livre De la démocratie en Françafrique : une histoire de l’impérialisme électoral (La Découverte, janvier 2024), l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla et la journaliste française Fanny Pigeaud racontent comment la « démocratie » n’a souvent pas grand-chose de démocratique dans les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne.
Depuis leur introduction à l’époque coloniale, les élections y relèvent généralement plus du rite de légitimation du pouvoir que d’un réel choix entre des offres politiques diverses. D’abord, le vote a été réservé aux colons, avant d’être élargi à une petite élite autochtone. Dans les années 1950, quand la France a fini par admettre le suffrage universel dans ses colonies africaines, elle a truqué plusieurs élections pour que les dirigeants qui auraient à gérer les indépendances lui soient fidèles.
Depuis ces indépendances, un véritable savoir-faire de bidonnage des scrutins s’est développé en « Françafrique », parfois avec l’appui d’experts français. Il y a le trucage post-élection (efficace, mais parfois un peu trop voyant) mais aussi le trucage avant l’élection (éviction des opposants, tripatouillage du fichier électoral pour favoriser le vote dans les bastions du pouvoir et l’entraver dans les places fortes de l’opposition…). C’est cette dernière catégorie de techniques qu’a tenté d’utiliser le régime sortant au Sénégal, sans succès cette fois-ci, puisque malgré l’emprisonnement et l’invalidation de la candidature de son principal chef de file, l’opposition a remporté la présidentielle de mars. Le livre revient aussi sur l’époque des partis uniques qui a précédé la vague de « démocratisation » des années 1990, laquelle s’est accompagnée d’une libéralisation forcée de l’économie. Des banquiers type FMI (Fonds monétaire international) ont alors été portés au pouvoir dans plusieurs États. Ils n’ont jamais remis en cause le franc CFA, qui a permis à la France de garder un certain contrôle sur l’économie de ses anciennes colonies.
Électoralement non plus, Paris n’a pas renoncé à l’ingérence, comme on l’a vu – exemple paroxysmique – en Côte d’Ivoire en 2011, quand l’armée française a bombardé la résidence du chef de l’État sortant Laurent Gbagbo, pourtant donné vainqueur du scrutin présidentiel par plusieurs institutions du pays. Celui qui a été installé à sa place s’appelle Alassane Ouattara. Ancien haut cadre du FMI, il s’était engagé à quitter le pouvoir après deux mandats. L’an prochain, il en briguera peut-être un quatrième.
Cet article a été publié dans
CQFD n°230 (mai 2024)
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Paru dans CQFD n°230 (mai 2024)
Par
Illustré par Patobeur
Mis en ligne le 24.05.2024
Dans CQFD n°230 (mai 2024)
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