Unions libres
Convergences en divergences
Le 18 septembre, après une deuxième action de blocage à l’usine Eurolinks1 réprimée par des flics en robocop, les militant·es dispersé·es ont fait une rencontre à laquelle iels ne s’attendaient pas. Sur la route du retour vers le centre-ville, iels sont tombé·es sur des sous-traitants d’Atalian, le prestataire qui, depuis septembre 2024, a le marché de la propreté des transports en commun de Marseille. Alors que le cortège de bloqueur·euses passe, l’un des salariés les invite à rejoindre leur piquet de grève – dont personne ne semblait connaître l’existence.
Cela fait plus d’un an que les sous-traitants de la RTM sont en lutte.
Le groupe hésite. Certain·es prennent le parti de rejoindre les salariés d’Atalian, mais d’autres voix divergent. Comme cette femme, d’une quarantaine d’années, qui lance à la cantonade : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre moi de la RTM alors que nos frères et sœurs se font tuer en Palestine ? En plus, ils me mettent des amendes ! » Difficile pour celleux qui veulent rejoindre le piquet d’expliciter le rapport entre une grève de sous-traitants de la RTM et une lutte pour soutenir les Palestinien·nes contre le génocide. Le mantra de la convergence des luttes, l’idéal de la grève générale pour une société plus juste… Ça ne s’explique pas en quelques minutes après neuf heures de blocage.
Une partie du groupe se met finalement en route pour rejoindre le piquet des salariés d’Atalian. En grève depuis le matin, ils sont réunis autour d’un barbecue, non loin de l’entrée du dépôt de bus de Château-Gombert (13e arrondissement). Sourires, bonne humeur, les victuailles se partagent entre deux groupes qui ne se ressemblent pas : des hommes, dans la quarantaine ou la cinquantaine, racisés pour beaucoup, et des bloqueur·euses aux traits tirés, autour de la vingtaine, principalement des femmes et des personnes queers.
Quand la question est posée de savoir quelle organisation soutient leur lutte, les grévistes répondent vaguement : « Les Gilets jaunes, la CGT, CNT… »
Cela fait plus d’un an que les sous-traitants de la RTM sont en lutte. Des grèves régulières qui poursuivent le même objectif : obtenir de leur employeur le versement des salaires, l’envoi des fiches de paies et l’intégration de quatorze anciens membres de leur équipe – des salarié·es de l’époque Laser, l’entreprise titulaire du marché avant la reprise d’Atalian en 2024. Sur leur piquet, pas de tracts ni de drapeaux de syndicats. Quand la question est posée de savoir quelle organisation soutient leur lutte, les grévistes répondent vaguement : « Les Gilets jaunes, la CGT, CNT… ». L’appartenance syndicale n’est pas claire, mais les motifs de convergence, eux, ne manquent pas : « Si vous me permettez, regardez-nous, on est des barbus et des bronzés. Ça n’y est pas pour rien dans la façon dont ils nous traitent », explique un des grévistes. « Et on soutient à fond la Palestine nous aussi, vous inquiétez pas ! »
Les tenants du piquet expliquent la suite de leur plan : un journaliste de La Provence est en route, ils vont l’attendre pour faire une action symbolique. Le groupe va se mettre sur la chaussée, sans bloquer le dépôt des bus – « pour rester dans la légalité » – mais en ralentissant la circulation. S’ensuit une demi-heure de joyeux bordel : les sous-traitants sont équipés en fumigène et tous et toutes s’appliquent à donner de la voix devant la caméra de La Provence. Alors que les nouvelles et nouveaux venu·es demandent quels slogans il faut chanter, il y a comme un blanc. « Payez-nous ! » et « Stop au complot… » Une formulation qui fait tiquer certain·es des bloqueur·euses… Mais n’empêche pas le groupe de s’élancer à la rencontre des voitures arrêtées devant le piquet pour expliquer le combat des sous-traitants d’Atalian, puisque la paire de banderoles accrochée aux grilles mettant en cause l’entreprise est difficilement déchiffrable. Puis, avec l’enthousiasme du nombre, les bus sont finalement bloqués.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Une première action de blocage d’Eurolinks avait eu lieu la semaine précédente, durant la journée du 10 septembre. Lire l’article page 5.
Cet article a été publié dans
CQFD n°245 (octobre 2025)
Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
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Paru dans CQFD n°245 (octobre 2025)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Alex Less
Mis en ligne le 25.10.2025
Dans CQFD n°245 (octobre 2025)



