Gouvernement VS associations, suite (et pas fin)
Chantage à l’idéologie républicaine
Ciblant en priorité ce que le gouvernement appelle l’« islam politique », la loi d’août 2021 contre le séparatisme – de son nom officiel « loi confortant le respect des principes de la république » – instaurait de fait de nouvelles restrictions des libertés publiques, associatives notamment1. Un nouveau dispositif issu de cette loi nauséabonde, le contrat d’engagement républicain (CER), s’applique depuis le 1er janvier 2022 aux quelque 1,5 million d’associations et 2 800 fondations françaises. Désormais, tous les dossiers de demandes de subvention comprennent une case à cocher, valant signature de ce CER dont les sept engagements figurent bien souvent en annexe : respect des lois de la République, égalité et non-discrimination, respect des symboles de la République…
Jean-Baptiste Jobard, coordinateur du Collectif des associations citoyennes et auteur d’une Histoire des libertés associatives en France de 1791 à nos jours (éditions Charles Leopold Mayer, 2022), remarque : « À première vue, ça ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Ce sont les principes mêmes qui fondent le cadre juridique français. » Mais plus les champs à contrôler sont généraux, « plus la marge d’interprétation est grande », ouvrant la voie à une surveillance toujours plus généralisée et arbitraire, comme s’en inquiètent la Ligue des droits de l’homme, la Cimade, France Nature Environnement et bien d’autres.
« Les associations sont désormais présumées coupables »
Les autorités peuvent ainsi s’attaquer plus facilement à toute association bénéficiant d’une aide publique, qu’elle soit financière ou matérielle. Cela a été le cas par exemple d’Alternatiba Poitiers. Dans le cadre d’un « village des alternatives », l’association avait organisé en septembre dernier un atelier de formation à la désobéissance civile. Inacceptable pour la préfecture de la Vienne qui y a vu une « incitation à des manifestations contraires à la loi, violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public », précisant que l’événement était « manifestement incompatible » avec le CER. Elle a saisi le tribunal administratif pour réclamer l’annulation de deux subventions attribuées à l’association par la ville et l’agglomération de Poitiers2. L’affaire est encore en attente de jugement. « Ce qui est déroutant, commente Jean-Baptiste Jobard, c’est que le préfet n’a pas directement attaqué l’association, mais les collectivités territoriales qui ont versé une subvention à Alternatiba. »
Mais les collectivités locales peuvent elles aussi se saisir de ce contrat d’engagement quand ça les arrange. Comme en février 2022 à Chalon-sur-Saône où le maire a tenté de l’utiliser pour faire interdire la tenue d’un stand du Planning familial dans l’espace public au motif qu’une femme voilée apparaissait sur l’affiche de l’événement. La décision municipale a finalement été jugée illégale par le tribunal administratif de Dijon.
Le CER vient confirmer une évidente volonté de mise au pas des associations de la part de l’exécutif. Démonstration de cet acharnement, ce dernier dissout à tour de bras depuis quelques années : « De 1936 à 2015, il y a eu 130 mesures de dissolution administrative, soit 1,5 par an en moyenne, note Jean-Baptiste Jobard. Entre 2010 et 2020, cette moyenne a doublé. Et depuis l’arrivée de Darmanin à l’Intérieur, on est entrés dans une phase exponentielle3. »
« La simple existence du dispositif peut produire des effets d’autocensure très forts »
Jean-Baptiste Jobard poursuit : « La loi de 1901 était réellement un conquis social. Il s’agissait de dire aux citoyens : “Vous pouvez vous organiser comme bon vous semble, les autorités publiques n’ont pas le droit de regard préalable sur ce que vous faites”. Le CER induit un renversement total, instaurant une défiance a priori. Les associations sont désormais présumées coupables4 ». Et de compléter : « Cette logique contamine l’ensemble du moment que nous vivons. Dans les textes sur l’immigration qui se préparent, il y a aussi l’idée de faire signer une sorte de contrat d’engagement républicain aux personnes migrantes… ».
Concrètement, si une infraction au CER est constatée, l’association incriminée pourra être contrainte de rendre les subventions qui lui ont été allouées. Dans un contexte où tendanciellement les trésoreries des associations se portent de plus en plus mal, cela peut signer un arrêt de mort aussi sûrement qu’une dissolution, mais plus discrètement. « Quand on est président d’une association dans une ville où le maire est autoritaire, conclut Jean-Baptiste Jobard, on va réfléchir à deux fois avant de se risquer à un avis critique. La simple existence du dispositif peut produire des effets d’autocensure très forts. »
1 « Loi “Séparatisme” : les associations dans le viseur », CQFD n°196 (mars 2021).
2 « Comment la loi “Séparatisme” permet aux préfectures de frapper les associations au porte-monnaie », Basta (23/12/2022).
3 Parmi les associations que le gouvernement a dissoutes ou tenté de dissoudre récemment : le Groupe antifasciste Lyon et environs (dit La GALE), Palestine vaincra, le Bloc lorrain… À lire : « Le gouvernement prêt à dissoudre le mouvement social », CQFD n°215 (décembre 2022).
4 Voir la tribune du Mouvement associatif, signée par de nombreux représentants d’assos : « “Associations présumées coupables ?” : une disposition du projet de loi “confortant les principes républicains” inquiète le Mouvement associatif » (site de France info, 18/01/2021).
Cet article a été publié dans
CQFD n°221 (juin 2023)
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Paru dans CQFD n°221 (juin 2023)
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Mis en ligne le 24.06.2023