Les couleurs politiques de la librairie s’affichent sur les murs, entre un positionnement international : « Non au fascisme d’Erdogan, paix au Rojava », et un rappel des fondamentaux : « Le harcèlement, ni ailleurs ni ici ». Du plafond pend un drapeau pirate, tandis que la platine joue un titre du chanteur anar italien Fabrizio De André. Tout fleure la sédition. Rien n’est de façade. Chez Josette, le collectif, qui compte une dizaine de membres permanents et une vingtaine plus occasionnels, met ses idées à l’épreuve de la vie.
Sur le modèle du café suspendu [1], par exemple, chacun peut laisser quelques pièces dans un panier qui permettront à d’autres de s’offrir un roman, un essai ou un recueil de poésie. Certains rayons, dont les livres ont été glanés sur des brocantes ou donnés par les habitants, sont à prix libre. Comme les thés au bar. Dans la ville de Rimbaud, on se risque aussi au Cola d’Arthur, ce qui permet de parler du poète sans en parler vraiment.
[|Port d’attache|]
Mais cette présentation en surface ne suffit pas à résumer l’esprit qui règne Chez Josette. En une heure passée à traîner sur la terrasse, on voit autant de passionnés rôder dans les rayons sciences humaines que de quidams venus tromper leur solitude.
Dans les Ardennes, qui restent d’année en année parmi les dix départements les plus pauvres de France, et face à un État démissionnaire, le café-librairie fait figure de substitut, de port d’attache. Le bateau livre, c’est eux. On y rencontre des personnes en grande précarité, venues grignoter, boire un sirop ou simplement papoter avec les bénévoles qui connaissent les blessures des uns et des autres. Ainsi d’une vieille dame, Marie-Louise, qui ne cache pas ses galères : « Ça fait vingt-deux ans que j’habite ici et, pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir des amis. » Ou de Toinou, gamin timide en classe Segpa, à qui l’insistance des bénévoles auprès du collège a permis de faire son stage de troisième à la librairie.
On y rencontre des personnes en grande précarité, venues grignoter, boire un sirop ou simplement papoter avec les bénévoles qui connaissent les blessures des uns et des autres.
Dans la ville, les habitants ont rapidement identifié le lieu comme une sorte de centre socio-culturel, destiné à des profils parfois éloignés des librairies et des institutions culturelles. « On préfère avoir les mains libres et ne pas bénéficier de subventions ni de relais institutionnels, mais on est souvent contactés par la mission locale, les assistantes sociales ou les psychologues », raconte Zinou.
Les relations avec les pouvoirs locaux se résument à une indifférence cordiale et réciproque. Indifférence qui a failli tourner à la défiance lors des dernières élections municipales, quand le bruit a commencé à courir : « Chez Josette se présente aux élections ! » Fausse alerte, mais la rumeur dit quelque chose du rôle du collectif dans la ville. Depuis le premier confinement, il occupe aussi la rue une fois par mois pour sa brocante gratuite, la désormais célèbre « gratiferia ».
[|« D’égal à égal »|]
Avec environ 2 000 adhérents, Ardennes initiatives populaires, incarnation légale de Chez Josette, est devenue en un peu plus d’un an la deuxième association la plus importante du département. Pour beaucoup d’habitués, c’est une petite révolution dans cette ville dirigée par un proche de Nicolas Sarkozy, Boris Ravignon, surnommé « l’énarque des Ardennes ».
« J’aurais tellement aimé qu’il y ait un endroit comme ça quand j’étais ado, raconte Jean-Michel, bénévole de l’association. Ici, on parle d’égal à égal, qu’on soit jeune, vieux, beau, gros, handicapé, pauvre ou riche. » Les prises de décision se font de manière horizontale lors de réunions hebdomadaires, durant lesquelles on décide notamment de la programmation des mois à venir.
Pour faire battre le cœur de Josette, l’équipe organise des rencontres toute l’année. Les dernières en date : une conversation autour de l’ouvrage de Nicolas Bonanni Que défaire ? – Pour retrouver des perspectives révolutionnaires (Le Monde à l’envers, avril 2022), un débat avec l’épicerie autogérée La Marcasserie, ou encore une soirée sur la réduction des risques liés à l’alcool en compagnie du collectif Modus Bibendi.
Les bénévoles trouvent autant d’intérêt que les visiteurs à ces rendez-vous , comme l’explique Zinou : « On s’autoforme aussi. Par exemple sur comment accueillir la folie de la manière la moins conflictuelle et excluante possible. »
[|Faire des petits|]
Comme le café-librairie Michèle Firk ou La Parole errante, tous deux ancrés à Montreuil (Seine-Saint-Denis), ou encore Manifesten, à Marseille, des lieux cousins, Chez Josette est traversé par de multiples interrogations. Ensemble, ceux qui tiennent le lieu discutent « rapports de forces, rapport aux institutions, gestion d’un espace ouvert sur le monde, avec des prix libres et sans salariés. L’idée c’est de trouver des solutions d’entraide qui ne soient pas de la charité mais de l’organisation politique », défend Zinou.
Chez Josette, on réfléchit aussi à l’idée de faire tache d’huile, en transmettant cette expérience qui donne des envies de faire pareil. Récemment, le lieu a accueilli pendant un mois une copine de Lorient venue observer comment fonctionne cette drôle de maison, dans l’idée de s’en inspirer. D’où aussi l’idée de rédiger un petit manuel à destination de ceux qui voudraient créer une librairie différente des autres. Pas de recette magique ou de tuto en dix points, mais un partage d’expérience, une volonté de transmettre pour essaimer. Alors, à qui le tour ?
[/Annabelle Perrin/]