Menace sur l’eau potable

Amer béton dans le Var

Depuis 2008, l’entreprise Provence Granulats essaie d’implanter une carrière de granulats à Mazaugues, dans le parc naturel régional de la Sainte-Baume. Entre contre-expertises, manifestations et recours, le Collectif anti-carrière de Mazaugues continue de s’organiser face à ce projet qui met en danger la plus importante réserve d’eau potable du département du Var.
Illustration de Slevenn

«  La situation d’un grand nombre de cours d’eau est critique. » Le 11 août 2022, le préfet du Var est en panique et en appelle « à la responsabilité de chacun » pour économiser la flotte. Les vagues de chaleur, ajoutées à l’absence de pluie, ont mis le département à sec. Diverses mesures de restriction sont prises. Le Var crève la soif, et tout porte à croire que cette situation va se répéter, et empirer.

Que trouve-t-on pourtant sur le bureau de ce même préfet ? Un projet de carrière mettant en péril la plus grande réserve d’eau potable du département. Pour quoi faire ? Extraire des cailloux qui, concassés, donneront les granulats nécessaires à la fabrication du béton. L’État y met-il son holà ? Au contraire : il soutient mordicus l’ouverture de cette carrière, projetée par l’entreprise Provence Granulats depuis 2008, mais retardée par les différents recours portés par les opposant·es.

Des cailloux dans le gruyère

Les 50 hectares concernés par le projet, dont la moitié sera exploitée comme carrière, se trouvent sur la commune de Mazaugues, dans le massif de la Sainte-Baume, classé Natura 2000 pour sa richesse floristique et faunistique. On y trouve pas moins de 85 espèces protégées : oiseaux, papillons, lézards ocellés, circaètes Jean-le-Blanc, plusieurs espèces rares de chauves-souris… Des loups ont également élu domicile sur le site. « Pas exactement sur le site, puisqu’il a été grillagé, peste Thierry, membre du Collectif anti-carrière de Mazaugues. Mais juste à côté, oui. On sait qu’ils s’y trouvent bien, car une louve y a donné naissance à des petits. » Sans compter qu’à quelques mètres sous terre se trouve la plus grande réserve d’eau potable du Var.

Ici, pendant un siècle, les « gueules rouges » ont extrait la bauxite, la roche rouge à partir de laquelle on produit l’aluminium. Quand la mine, dirigée par le groupe industriel français Pechiney, cesse son activité dans les années 1980, les mineurs laissent derrière eux des kilomètres de galeries souterraines. Aujourd’hui, ces « vides miniers » fonctionnent à la manière d’un gigantesque récupérateur d’eau de pluie : comptez 7 milliards de litres de flotte ! Le site étant situé sur un sol karstique, l’eau s’infiltre et rejoint des rivières souterraines dont la plupart alimentent ensuite le cours du Caramy puis le lac artificiel de Carcès, lequel fournit de l’eau à quelque 800 000 Varois·es en hiver, et près du double en été.

Face aux pressions, contre-expertises et lutte !

C’est sur la croûte de ce véritable gruyère que Provence Granulats entend extraire pas moins de 400 000 tonnes de caillasse sur vingt ans. Va-et-vient de camions chargés de cailloux, travail des pelleteuses, tirs de dynamite… L’entreprise a beau jurer que toutes les précautions ont été prises et vanter une « carrière 100 % éco-responsable », elle ne rassure pas les opposant·es qui, depuis quinze ans, ont amassé une solide documentation pour étayer leurs craintes. Dans une étude réalisée en 2015, l’expert public en matière de risques miniers Geoderis expliquait ainsi qu’il existe un risque d’« effondrement généralisé » pour certaines zones. Or, en cas d’effondrement du site et de pollution des eaux souterraines, « la source serait impactée en moins de six heures », prévient Robert Durand, hydrogéologue et président de l’association Environnement Méditerranée.

C’est sur la croûte de ce véritable gruyère que Provence Granulats entend extraire pas moins de 400 000 tonnes de caillasse sur vingt ans.

Malgré les risques, l’État roule clairement en faveur de la carrière. En 2015 déjà, alors que les opposant·es avaient obtenu l’annulation du permis d’exploitation devant le tribunal administratif de Toulon, le préfet et la ministre de… l’Environnement Ségolène Royal avaient fait appel de cette décision. Et lorsque le maire de Mazaugues tente de s’opposer à l’ouverture du site, il est convoqué en sous-préfecture en novembre 2020 pour subir un coup de pression du représentant de l’État, qui l’aurait menacé à demi-mots de mettre sa commune sous tutelle. Pourquoi s’entêter à soutenir un tel projet ? « C’est complètement incompréhensible, soupire Marc1, un fervent opposant. À part du copinage, on ne voit pas… »

Pourtant, face aux pro-cailloux, les pro-flotte ne désarment pas et leurs rangs ne cessent de gonfler. En février 2021, une chaîne humaine organisée par le Collectif anti-carrière de Mazaugues avait rassemblé quelque 500 personnes. « Désormais, ce n’est plus la lutte d’un collectif, c’est l’expression d’une volonté citoyenne », explique Marie, qui consacre une bonne partie de son temps libre à cette lutte. Le 9 septembre dernier, cette convergence s’est confirmée à l’occasion d’une journée d’information organisée non loin, dans le village de Correns. Cette fois, c’est plus d’un millier de personnes qui ont participé à l’événement, en compagnie d’associations, des syndicats, de Gilets jaunes… Pour toute l’assistance, après la sécheresse historique de l’été 2022, la préservation des ressources en eau est désormais une évidence.

Nicolas Bérard

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CQFD n°214 (novembre 2022)

Dans ce numéro empli de gestes techniques incroyables, un dossier sur le foot business et ses contraires : « On rêvait d’un autre foot ». Mais aussi : la grève des raffineries, le procès-bâillon de BFM TV contre le journaliste Samuel Gontier, un reportage à Lampedusa, un entretien avec le réalisateur Alain Cavalier, un point sur l’extrême droite israélienne... En enfin : un appel à soutien où l’on fait la lumière sur les comptes du journal et les mirifiques salaires de ses rares employés rémunérés…

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