Au temps béni d’Aliot Louis

À Perpignan, l’extrême droite rayonnante

Trois ans après la victoire du Rassemblement national aux élections municipales, la ville de Perpignan est‑elle en passe de devenir un avant-poste de l’extrême droite ? Rencontre avec Josie Boucher, figure de la gauche locale, attaquée en justice par la commune pour avoir qualifié la majorité municipale de… « fascistes ».
Illustration Eloïse Pardonnet

En 2020, la ville de Perpignan (120 000 habitants environ) est la première grande ville française à tomber dans les mains du Rassemblement national (RN) avec la victoire aux élections municipales de son vice-président, Louis Aliot. Un temps surnommé « Loulou la purge » pour son zèle à vouloir « dédiaboliser » le RN, ce membre de longue date du parti d’extrême droite s’applique dorénavant à mener une offensive sécuritaire contre les quartiers populaires et à glorifier le passé colonial français en Algérie. Et à museler les oppositions : la municipalité attaque ainsi en justice Josie Boucher, figure militante locale, présidente de l’ASTI1 Perpignan et membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). On en parle avec elle, tout en tirant un premier bilan de la gestion RN à « Perpignan la rayonnante », nouvelle devise de la ville.

Pourquoi la municipalité de Perpignan a-t-elle décidé de déposer plainte contre vous ?

« Peu de temps après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, Louis Aliot a décidé de mobiliser un bus pour aller “sauver” des Ukrainiens fuyant la guerre. Un vrai cirque de communication ! Quand on sait que, deux semaines plus tôt, le RN avait envoyé au pilon tous leurs tracts où l’on voyait Marine Le Pen serrer la main de Vladimir Poutine… Lors d’un rassemblement en soutien au peuple ukrainien, à l’appel d’organisations de gauche à Perpignan, j’ai pris la parole et, au cours de mon intervention, j’ai juste dit que les réfugiés ukrainiens n’avaient rien à attendre des fascistes du RN. Une journaliste de L’Indépendant, le quotidien local, était présente. Elle a rapporté mes propos dans un de ses articles2, ce qui n’a visiblement pas plu au maire. Il a fait voter, via le conseil municipal de Perpignan, une décision visant à porter plainte contre moi pour “injure à un corps constitué”. »

Comment a réagi l’opposition ?

« L’opposition Les Républicains (LR)3 a refusé de voter ce texte pour deux raisons. D’abord, Marine Le Pen avait déjà perdu devant les tribunaux quand Mélenchon l’avait taxée de fasciste4. Ensuite, ils ne voulaient pas que cette plainte se fasse au nom de la mairie de Perpignan : le terme “fasciste” visait Aliot et pas la mairie ; et ils refusaient que les moyens (financiers, juridiques, etc.) de la mairie pour cette action en justice permettent à Aliot de se payer une campagne d’affichage politique. Mais comme le conseil municipal est à majorité RN, la plainte a été actée et j’ai été mise en examen peu de temps après. Jusqu’à présent, je n’ai été ni auditionnée ni convoquée. »

Quelle a été votre réponse ?

« Face à cette attaque frontale contre la liberté d’expression, un comité de soutien unitaire a été créé, une pétition a été lancée et une tribune signée par de nombreuses personnalités et diffusée largement5. On a aussi organisé des rassemblements et un meeting en janvier dernier, dans lequel est notamment intervenu le sociologue spécialiste de l’extrême droite Ugo Palheta. »

À quoi ressemble la politique municipale de Perpignan trois ans après l’arrivée du RN ?

« Louis Alliot n’a qu’un mot à la bouche : “sécurité”. Dès son arrivée à la mairie, il a commencé à construire de nouveaux commissariats municipaux afin de couvrir toute la ville, et recruté de nombreux agents de police. Mais même si c’était une promesse phare de son mandat, il a tout simplement suivi la pente prise par le maire précédent, le LR Jean-Marc Pujol, en poste de 2009 à 2020. »

Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

« Dans le viseur d’Aliot, on retrouve notamment le quartier populaire de Saint-Jacques, où résident d’importantes populations gitanes et maghrébines. Sous prétexte de lutte contre les logements insalubres, il met les gens dehors ou les reloge à des kilomètres de là. En parallèle, il mène une politique de harcèlement – via sa police municipale – contre ces populations, accusées de contribuer au trafic de drogue. Il y a une volonté claire de gentrifier cette partie centrale de la ville. »

Louis Aliot cherche aussi à célébrer le passé colonial de l’Algérie française…

« Mais là aussi il n’a fait que poursuivre la politique de propagande menée par Jean-Marc Pujol6. Le 19 mars 2021, il a inauguré une exposition sur les “crimes” du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d’Algérie. En 2022, à l’occasion du 60e anniversaire de la fin de celle-ci, il a placardé sur tous les panneaux publics de la ville des affiches intitulées “Perpignan, capitale des Français d’Algérie”. Cette campagne annonçait une série de conférences censée rétablir la “vérité” sur l’histoire de la guerre d’Algérie. En réalité, il s’agissait de l’histoire écrite par les militaires français, principaux invités de l’évènement7. À la fin du week-end, il a fait citoyens d’honneur certains protagonistes du putsch d’Alger en 1961. »

Une manière de flatter son électorat ?

« Cette valorisation du passé colonial français n’est pas une démarche électoraliste vu qu’aujourd’hui, la plupart des pieds-noirs arrivés en 1962 sont décédés8. On a vraiment là une composante idéologique de la pensée politique du RN. Ces prises de position sont à la fois une insulte envers celles et ceux qui sont morts pendant la guerre d’Algérie et une menace pour les héritiers de l’immigration. Heureusement, il y a quand même des réactions. On a créé un “Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée”, dans lequel on retrouve la plupart des organisations de gauche – sauf le Parti socialiste. »

D’autres franges de l’extrême droite radicale profitent-elles que le RN soit aux affaires pour mieux s’implanter à Perpignan ?

« Louis Aliot est très malin, il joue à fond la carte de la “dédiabolisation” et fait tout pour contenir les groupuscules fascistes un peu excités qui voudraient s’implanter à Perpignan. Les zemmouristes ont par exemple tenté d’occuper le terrain au moment du meurtre de Lola9, mais il n’y a pas eu de démonstrations très voyantes, Louis Aliot garde le contrôle sur cette clique.
Ceci dit, il y a quelques mois, nous avons aussi appris qu’un bar identitaire allait s’ouvrir à Perpignan. Les fachos ont finalement réussi à trouver un lieu à Canohès, dans les environs de la ville. Le bar s’appelle Le 7.59, en référence à la victoire de Pépin le Bref, roi des Francs, contre les Omeyyades lors du siège de Narbonne en 759. C’est un bar privé, l’accès ne se fait que par cooptation, mais c’est clairement devenu un lieu où les identitaires s’organisent. On a appris que le groupuscule Unité sud qui avait attaqué un meeting de la Nupes à Perpignan en mars dernier était derrière ce lieu. Il n’y a eu aucune réaction du maire sans étiquette de Canohès, Jean-Louis Chambon. Par contre, il y a eu une petite action – anonyme, bien entendu – pendant laquelle ont été placardées des affiches antifascistes sur leur local. Histoire de leur faire comprendre qu’on savait où ils étaient. »

Propos recueillis par Maël Galisson illustration Eloïse Pardonnet

1 Association de solidarité avec tous les immigrés.

3 Les Républicains représentent le seul groupe d’opposition au conseil municipal, puisqu’au second tour des municipales de 2020, les partis dits de gauche s’étaient désistés pour faire barrage au RN.

4 En 2017, la Cour de cassation rejetait définitivement la plainte de la leader du RN au motif que ces propos relèvent de la liberté d’expression.

6 Mise en berne des drapeaux le 19 mars (jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie) ; tentative de rebaptiser des rues de la ville au nom de Pierre Sergent, un des chefs de l’Organisation Armée Secrète (OAS) et Hélie de Saint Marc, un des militaires putschistes instigateurs du coup d’État à Alger en 1961 ; facilitation de l’implantation des activités du Cercle algérianiste ; ou encore inauguration d’un « Centre de documentation des Français d’Algérie », véritable musée de l’Algérie française au contenu révisionniste… N’en jetez plus !

8 En 1962, Perpignan (80 000 habitants à l’époque) a accueilli 12 000 pieds-noirs et autant de harkis.

9 En octobre 2022, le corps sans vie de Lola Daviet, douze ans, est retrouvé dans une malle à Paris. La principale suspecte du meurtre est en situation irrégulière sur le territoire français, et l’affaire est instrumentalisée par la droite et l’extrême droite contre la volonté de la famille.

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CQFD n°221 (juin 2023)

Le dossier du mois met à l’honneur les daronnes. Celles auxquelles on reproche d’être trop ceci, pas assez cela, qu’on juge si facilement et qu’on excuse si difficilement, alors qu’elles sont prises en tenaille entre les injonctions du capitalisme et du patriarcat. Ici, des voix s’élèvent pour revendiquer d’autres manières d’être femmes et mères, et tracer des lignes émancipatrices pour des maternités libérées.
En hors dossier, un focus sur l’extrême droite : on aborde la fascisation encore accrue du pays avec le sociologue Ugo Palheta et la situation de Perpignan, devenue il y a trois ans la plus importante ville française dirigée par le RN. À Briançon, la forteresse Europe étend encore et toujours ses absurdes murailles. On part aussi dans le Kurdistan turc à l’heure de l’élection présidentielle, à Douarnenez pour rencontrer le collectif Droit à la ville, ou encore aux côtés des travailleur·ses détaché·es dans les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône. Pour finir à Draguignan, où les cathos tradis locaux organise de chouettes processions pour faire tomber la pluie. Amen.

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Paru dans CQFD n°221 (juin 2023)
Par Maël Gallison
Illustré par Eloïse Pardonnet

Mis en ligne le 24.06.2023