Les révoltes vues de l’est

À Besançon, armada d’uniformes contre feux d’artifice

Après la mort de Nahel, abattu par la police lors d’un contrôle routier, la révolte explose. Récit de quatre jours d’emeutes à Besançon.

En Franche-Comté, au lendemain de l’assassinat de Nahel, des incidents éclatent à Besançon, Montbéliard et Belfort, entre containers cramés et fusées d’artifices sur les flics. Le lendemain, des localités insoupçonnables grossissent la fronde : Dole, Lons-le-Saunier, Pontarlier, Saint-Claude, Vesoul, Gray, Lure, Héricourt, Luxeuil-les-Bains, Saint-Loup-sur-Semouse… du jamais vu. Dans la ville natale de Proudhon et Hugo, nombre de quartiers fulminent ; Planoise retient l’attention, tant la soirée du jeudi 29 juin y fut critique. Durant quatre heures, deux cents protagonistes plongent ce pôle de 20 000 âmes dans une totale insurrection : banque Crédit Mutuel ravagée, supermarché Euromarket pillé, barricades incendiaires et pluies de projectiles sur les forces de l’ordre. Certaines images deviennent iconiques, telles la prise d’un coffre-fort ou la saisie d’un distributeur de bonbons. Sur les murs apparaissent le prénom de Nahel, des références au précédent de 2005 ou l’acronyme « ACAB ».

Certaines images deviennent iconiques, telles la prise d’un coffre-fort ou la saisie d’un distributeur de bonbons

Le vendredi après-midi, les autorités annoncent des mesures drastiques pour tenter de reprendre la main : fermeture anticipée des services publics à 17 h, suspension des transports en commun, barricadage du commissariat de la Gare-d’Eau, mais aussi et surtout, restriction inédite de la liberté de manifester. Une marche de soutien « aux soulèvements de Nanterre » est annoncée pour 20 h dans le quartier Battant, dans la vieille ville de Besançon. À une heure de l’événement, la préfecture publie un arrêté interdisant toute manifestation sur l’ensemble de la commune. En parallèle, les enseignes de l’hypercentre sont fortement invitées à baisser leurs rideaux. Des effectifs policiers considérables sont dépêchés afin de bloquer les ponts de la cité intra-muros. Mais, comme un énième bras d’honneur aux pouvoirs publics, la mobilisation se tient comme si de rien n’était : syndicalistes, responsables politiques, associatifs, étudiant·es, autonomes, antifas… trois cent cinquante personnes y participent, encouragées lors du parcours par des habitant·es et petit·es commerçant·es.

Le week-end, les tensions sont finalement redescendues. Un quadrillage répressif inédit a été instauré en ce sens, avec check-points stratégiques, contrôles d’identité massifs et concours d’un hélicoptère. Un dispositif suffisant pour ne pas réitérer l’explosion de l’avant-veille, mais inefficace à juguler toutes les velléités… Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 juillet, une armada d’uniformes déployée sur le secteur du quartier Île-de-France est soudainement arrosée de dizaines d’artifices. Derrière le retour d’un calme apparent, une colère profonde continue inévitablement de gronder. Une réalité que n’ignorent pas les politicards locaux comme la maire EELV Anne Vignot, qui déplore dans Libération cette « société [qui] n’a pas su accompagner une jeunesse discriminée1. » Les problèmes de fond restent en effet rudes : violences et racisme d’État, paupérisation galopante, absence de considération et de perspectives, s’ajoutent à un renouvellement urbain critiqué et à une guerre des stup’ ayant fait six morts en moins d’un an à Besançon.

Par Toufik-de-Planoise
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CQFD n°222 (juillet 2023)

Le dossier du mois n’est pas vraiment un dossier, plutôt une respiration estivale dans la grisaille sociale, à base de jeux de bon aloi, type « carte anti-touristique de Marseille » ou grand test « quel type de gentrificateur êtes-vous ». Du costaud pour frimer sur la plage. Pour le reste, on y cause étincelles & émeutes, Soulèvements de la terre en Maurienne, répression pseudo-anti-terroriste, mysticisme techno-sécuritaire ou chevauchées de Makhno. Du rire et des larmes de rage, quoi, au dosage millimétré.

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