Prison (2)

Surenchère de souffrances et soif de sang

Faute de ne pouvoir rétablir la peine de mort, mesure proscrite par la Communauté européenne, les intoxications politiques, relayées dans le bon sens populaire, ne cessent d’inventer des techniques inédites d’enfermement. Et inévitablement de fabriquer des personnes détenues qui n’ont plus rien à perdre.

A croire que le nom du lieu était prédestiné. Condé ! Ou plus exactement Condé-sur-Sarthe, petit bourg de deux mille habitants à l’ouest d’Alençon dans le département de l’Orne. C’est là qu’a été bâti un lieu de détention ultra sécuritaire – conçu par des cervelles exsangues1 – concentrant « les résultats de douze années d’études ministérielles sur les types d’établissement censés tenir enfermés des prisonniers difficiles et condamnés à de très longues peines2 ». Installé sur presque trois hectares, composé de trois bâtiments dont seuls deux sont pour l’heure en fonction, ce dernier né des centres pénitentiaires se distingue, ainsi que le précise la plaquette promotionnelle du produit, par « la haute technologie des moyens de sureté et la gestion en petits groupes de personnes détenues ». Dans les faits, aucune communication n’est possible entre les bâtiments, les soixante-huit détenus actuels, encadrés par cent quatre-vingt neufs surveillants, sont maintenus dans un quartier d’isolement ayant la taille d’une prison. Les fenêtres ont été faites de telle manière que les prisonniers ne puissent ni voir à l’extérieur, ni être vus. Contrairement aux maisons centrales où l’usage permettait auparavant une relative circulation entre les cellules, ici les portes sont closes en permanence.

Par L.L. de Mars.

Rares contacts entre détenus, omniprésence des surveillants, caméras de surveillance, promenades et activités ne tolérant que la présence maximum de sept prisonniers, administration massive de tranquillisants de gré ou de force et parfois par injection, ouvertures électroniques des portes afin de limiter les contacts entre matons et détenus et accès très difficiles pour les familles désirant rendre visite à leur proche, « cet établissement a été conçu pour nous casser psychologiquement et physiquement, car à l’isolement les agents sont en permanence casqués pour le moindre mouvement, on nous fait des fouilles à corps pour rien », témoigne Christophe B., un détenu de cette prison. La raison de son transfert dans cette version moderne des quartiers de haute de sécurité3 lui avait été précisée par l’administration : « Votre placement à l’isolement s’avère […] strictement nécessaire au centre pénitentiaire d’Alençon, car il constitue l’unique moyen d’assurer l’ordre au sein de l’établissement et de préserver la sécurité de l’ensemble du personnel. » Contre toute attente, le pari aura été tenu au delà de toutes les prévisions.

Depuis l’arrivée des premiers prisonniers le 29 mai 2013, cet établissement n’a eu de cesse de connaître des actes de révolte. Les motifs sont toujours les mêmes : demande de transfert, application des aménagements de peine. Mi-septembre, un enfermé projette de l’huile bouillante sur des surveillants. À la fin de ce même mois, deux gardiens sont hospitalisés après qu’un détenu a refusé d’être fouillé. Le 16 décembre, un mouvement collectif réclame la libre circulation entre les cellules pendant la journée. Le 30 décembre, ce sont deux prisonniers qui retiennent à l’aide d’un couteau artisanal deux matons, avant que n’interviennent les cagoulés des équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris). Le 30 décembre et le 1er janvier dernier, des caméras et du matériel d’une salle sont dégradés pendant qu’un encagé poursuit un surveillant avec une barre de fer à la main. Le 2 janvier, un officier du personnel est blessé avec un poinçon artisanal. L’après-midi, les prisonniers refusent de rejoindre leur cellule. Le 8, une porte est fracassée. Le jour suivant, un gardien reçoit une volée de coups de poings provoquant une luxation de l’épaule et dix jours d’incapacité totale de travail. Le 10, Fabrice Morot, directeur adjoint de l’établissement, est frappé à plusieurs reprises au dos et à la tête avec un objet pointu par un détenu qu’il tentait de calmer suite à une énième fouille corporelle. Des avocats, venus défendre des prisonniers devant la quasi quotidienne commission interne de discipline, tribunal interne nommé prétoire, s’inquiètent à leur tour de l’agressivité ambiante régnant dans l’établissement. Après que deux d’entre-eux affirment avoir subi des incidents de la part de détenus, le bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Alençon, oubliant que la place des avocats est aux côtés de leurs clients, invoque, le 7 février, le droit de retrait et demande le rétablissement de parloirs séparés par un hygiaphone4. Les syndicats de la pénitentiaire réclament, comme à l’habitude, effectifs, armements, et… respect. Quant à l’administration, elle admet du bout des lèvres que les « difficultés actuelles » sont le résultat « d’une période de rodage » nécessaire avant l’exploitation complète de ce premier laboratoire à taille inhumaine destiné aux longues peines et à toutes celles à venir, selon les orientations forcenées de la politique carcérale de gauche comme de droite.

Voilà qui devrait donc combler de satisfaction les lyncheurs anonymes et autres politiciens qui réclament toujours plus de férocité et de brutalité contre les prisonniers. Et aussi, calmer leur véhémence contre la ministre de la Justice accusée de laxisme et souhaitant prétendument ouvrir les prisons. Mais voilà surtout, avec ce centre pénitentiaire, premier d’une génération de prisons dédiée aux longues peines éliminatoires, de quoi ébaucher une nouvelle solution pour ces emmurés vivants : tenter de les soumettre définitivement à des conditions inhumaines de survie. Et feindre d’ignorer, pour satisfaire les toxicomanes de l’enfermement, que la violence générées par ces mesures ne peut que provoquer des explosions légitimes, dedans comme dehors.

« Le nombre de détenus effectuant une peine allant de vingt à trente ans de prison a été multiplié par 3,5 entre 1996 et 2006 », constate Annie Kensey5, responsable du pôle statistique à la direction de l’Administration pénitentiaire. Description que complète Barbara Liaras de l’Observatoire international des prisons : « Périodes de sûreté, obstacles à la libération conditionnelle, mesures de sûreté après la peine… semblent être venues compenser l’abolition de la peine de mort. Dans une même logique d’élimination. Les systèmes pénal et pénitentiaire aggravent ainsi, voire fabriquent de la “dangerosité”, avec des personnes qui n’ont rien à perdre, ne peuvent plus se projeter dans une échelle de temps accessible et voient leur capacité à retourner à la vie libre fortement amoindrie après une, deux, voire trois décennies de détention. »

De quoi mieux comprendre les gourmandes saillies de Nicolas Dhuicq, député UMP de l’Orne qui, au sortir d’une visite de Condé-sur-Sarthe le 11 février, rajoutait sa petite couche de perversité, en déclarant sur les ondes de la radio locale Tendance-Ouest : « Je souhaiterais que les détenus portent un uniforme, éventuellement qu’ils saluent le drapeau et les surveillants. […] Nous avons des fauves dans toutes les centrales de France et encore on les renforce, puisqu’on leur apprend la boxe et la musculation […] Je suis psychiatre de formation6 et je trouve que cela est totalement fou et irresponsable… »

Un pari sur le futur ? L’élevage industriel mutile le bec des poussins pour éviter qu’ils ne s’entretuent, rendus fous par la claustration. A Condé-sur-Sarthe, on attend les premiers dentistes.


1 Le cabinet Archi5Prod et Bernard Guillien, un de ses architectes, multirécidiviste dans la construction d’établissement de détention et débordant d’imagination sur l’aménagement de lieux de souffrance.

2 L’Envolée n° 38.

3 Le ministre de la Justice Robert Badinter a « décidé » la suppression des QHS le 26 février 1982.

4 Malgré une mise en garde d’un collectif d’avocats spécialisés en droit pénitentiaire, les avocats du barreau d’Alençon maintiendront leur position. Ces derniers obtiendront satisfaction : dorénavant, et d’une manière inédite, les entretiens ont lieu en présence d’un surveillant…

5 La Croix, le 2 juin 2009.

6 Nos services, s’étant livré à quelques investigations, n’ont trouvé aucune trace d’une quelconque inscription à l’Ordre des Médecins.

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