Cap sur l’utopie

Place aux « autonomies transformatrices »

Réedités par Le Temps des cerises et illustrés par le génial graveur anti-patriotard Frans Masereel, voici, pour commencer en beauté, Liluli suivi de La Révolte des machines de Romain Rolland, deux farces héroï-comiques mettant en garde, nous sommes à la fin de la Grande Guerre, contre « la prolifération des cimetières » et contre la vision d’avenir swiftienne de « troupeaux d’hommes et de femmes que les machines mènent paître ».

Une autre réédition judicieuse, enrichie par un préambule du franc-tireur toujours inspiré Louis Janover et par une postface d’un des rares marxologues pas complètement empesé, Maximilien Rubel, celle, chez Libertalia, de Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de Jules Andrieu, un fonctionnaire « épris de justice et de poésie », ça a existé ! Lequel veillera à ce que les services publics (eau, éclairage, égouts) ne soient pas court-circuités par les Versaillais tout en relevant les bourdes des émeutiers dans un fort lucide Manuel pratique des fautes, afin qu’on aille beaucoup plus loin dans la refonte sauvage (qu’on n’épargne aucune banque par exemple) lors des prochains soulèvements.1

Tiens, s’est glissé dans ma pile par inadvertance, car je l’ai déjà applaudi ici même le mois dernier, Mourir au travail ? Plutôt crever ! du flemmartiste Didier Harpagès (Le Passager clandestin). Ré-applaudissons-le et revenons à l’histoire des révoltes épicées.

Le Mexique des insoumis d’Alexandre Fernandez (aux éditions Vendémiaire) explique impavidement comment « la grande révolution de 1910 », c’est le sous-titre de l’opus, s’est assez vite institutionnalisée et n’a plus consisté pour ainsi dire qu’à réformer mollement des abus. Tandis que ça se passe mieux avec le zapatisme d’aujourd’hui, peut-on constater dans l’étude collective Zapatisme : la rébellion qui dure (chez Syllepse). C’est parce que, bien sûr, les insurgés du Chiapas appellent d’entrée de jeu à la « construction d’autonomies transformatrices » vaccinées contre les diverses formes de récupération et de leaderships. À leur propos, l’anthropologue Alicia Castellanos Guerrero parle d’une « utopie novatrice » en actes.

Un autre style d’utopie, c’est l’utopie guerrière qui aimante Spartacus chef de guerre (aux éditions Tallandier). L’auteur, le professeur sorbonnard Yann Le Bohec, tente de comprendre de quelle manière, entre 73 et 71 avant J.-C., un ramassis d’esclaves fugitifs sans armes, sans ressources, sans formation militaire, revendiquant la liberté sans limites purent-ils anéantir cinq légions de soldats romains super entraînés.

Certains des poètes guerriers en mal d’héroïsme dépeints par le spécialiste de Drieu La Rochelle et d’Aragon (qui vont si bien ensemble) Maurizio Serra dans Une génération perdue (Le Seuil) font penser aux gladiateurs spartakistes prônant la liberté ou la mort. Mais là, grosse déception : les esthètes armés rocambolesques qui créèrent la cité anarcho-futuriste délirante de Fiume en 1919 sont fort mal croqués par Serra qui n’en a vraiment, le baudet, que pour leurs inintéressantes pulsions de mort. Pas besoin de chaparder non plus la vue panoramique sur les Hérétiques de l’Occident médiéval (aux éditions Belin) du professeur R. I. Moore, qui n’est pas loin de penser que « faire la guerre à l’hérésie », c’était se ranger dans le camp du progrès. Et qui ne décrit dans sa somme aucune hérésie loufoque, contrairement à Norman Cohn dans son formidable Les Fanatiques de l’Apocalypse (publié chez Payot en 1983) ou à Raoul Vaneigem dans ses trois traités croustillants sur la résistance au christianisme.

J’ai à peine marmonné le nom de Vaneigem que le loup sort du bois. Une toute petite, toute mignonne, maison d’édition belge, Cactus inébranlable, publie son dernier brûlot : Pourquoi je ne vote pas et autres inédits. « Marginalisons les banques en recourant à une monnaie locale », s’exclame le larron. « Révoquons l’imposture de la dette publique. » « Ne payons plus les transports en commun. » « Multiplions dans les villes les jardins et les potagers collectifs. » « Piratons les spéculations boursières. » Réinventons le monde avec des « assemblées de démocratie directe ». Tout ça c’est trop chwette, comme on dit aujourd’hui, mais je ne suis plus d’accord du tout avec le compère Raoul lorsqu’il souligne que « l’important, c’est de casser les machines et les barrières de péages en tous genres et non de molester les patrons interchangeables ». Alors qu’il me paraît tout aussi important, mille millions de foutre !, de casser les sales patrons que les sales machines.


1 Mais ça n’a pas castagné qu’à Paris. En témoigne le vigoureux Les Communards à Lyon de Matthieu Rabbe, publié par l’Atelier de création libertaire.

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