Dossier : La police tue, les quartiers résistent

« On va continuer à écrire des histoires ensemble »

Dans la cafétéria qui fait face à la gare d’Argenteuil (Val-d’Oise), CQFD a bavardé avec Omar Slaouti, membre du Collectif Vérité et Justice pour Ali Ziri et l’un des organisateurs de la Marche pour la Justice et la Dignité du 19 mars 2017 à Paris.
Par Ruoyi Jin.

CQFD : Quel bilan tires-tu de cette marche ?

Qu’on est capables de taper sur le même clou, de temps en temps ! De s’être frottés avec des mouvements sociaux, je trouve ça extraordinaire. Les Zadistes sont venus de Notre-Dames-des-Landes avec une cantine, et l’argent va être reversé au collectif 19 mars, car ça nous a coûté une blinde, cette affaire. Une convergence est possible face à d’un côté, la répression brutale du mouvement social qu’on a vu à Sivens ou pendant les manifs anti-loi Travail et, de l’autre, les humiliations et violences quotidiennes dans les quartiers populaires. Notre marche s’inscrivait dans cette dynamique. Derrière les familles, il y avait des syndicalistes CGT, Solidaires, FSU… Ils n’ont pas tous le même discours sur la police, mais face à la répression et à l’état d’urgence, ils ont marché ensemble. Pour moi, cette marche est déjà porteuse d’un mouvement, le mouvement du 19 mars.

Selon toi, quelle place doit tenir l’antiracisme dans cette convergence ?

La question du racisme est cruciale, d’autant plus que le PS a reculé sur les contrôles au faciès, le vote des étrangers... Il y a un vieux slogan gauchiste qui me faisait mal à la tête, c’était « Même patron, même combat ». En soi, je comprends le trip, mais mon père est resté dans son boulot de merde jusqu’à se casser le dos et il n’a jamais monté les échelons parce qu’il est arabe. Avec le même patron, on n’est pas tous logés à la même enseigne. Et ce combat-là doit être mené par les premiers concernés. Invisibiliser la question du racisme – et c’est vrai aussi concernant les femmes, les homos... –, c’est dégueulasse. Mais la lutte antiraciste n’est pas l’alpha et l’oméga. Il y a diverses luttes sociales qui s’y articulent. Les chibanis de la SNCF se sont battus pendant dix ans contre une discrimination interne qui les a conduits à toucher des retraites de misère. En revanche, il y a une question que je ne veux pas squeezer, c’est celle de l’identité. C’est un écueil. On est quelques-uns à batailler pour ne pas tomber dans le délire essentialiste. Le Noir, l’Arabe, c’est une construction sociale, comme le Blanc ! Ce lycéen noir de Bergson, le flic le frappe d’autant plus fort qu’il est noir dans un mouvement social auquel le gosse participe car il sait qu’en tant que Noir, il va en bouffer, de la précarité ! Attention de ne pas réduire les Noirs et les Arabes à ce qu’ils sont. Ils sont et ils font. Le fait d’être pauvre, d’être précaire, c’est aussi faire. On fait ce qu’on est et on est ce qu’on fait.

Qu’est-ce qui explique cette convergence hier encore improbable ?

Il y a une crise dans l’hégémonie du discours dominant en France : les institutions sont discréditées. On va atteindre un taux d’abstention record aux élections. Les gens disent que voter, ça ne change rien. Et pour le pouvoir, cette défiance, c’est pire que tout, parce que ça peut partir en vrille. Ça peut donner un mouvement mille fois plus large demain, comme ce qui s’est passé en Espagne ou aux États-Unis. Et face à cette crise à venir, la répression policière prend les devants. Cette marche était importante, parce qu’elle a réussi, même si la presse n’a parlé que des embrouilles, à mettre dans la rue des personnes qui ne se croisaient jamais. C’était pas gagné d’avance, mais des responsables syndicaux prennent conscience qu’il y a du racisme y compris chez eux, que cette question est transversale, et de l’autre côté, dans le mouvement antiraciste, on comprend qu’on ne va pas s’en sortir si on n’aborde pas la question sociale. Parce qu’il n’y a pas que les flics qui nous font la misère…

À propos de l’intervention policière au lycée Suger de Saint-Denis début mars… N’est-ce pas pour casser une continuité avec le blocage des lycées parisiens pour Théo ?

Si cette répression a eu lieu à Saint-Denis, ce n’est pas pour rien. Il y a une volonté de fabriquer une image de barbares. Et les flics ont embarqué des élèves, des mineurs !, au hasard, en les insultant… Il y a l’idée de refouler et désigner les barbares de l’autre côté du périph’, et la volonté de montrer des îlots de barbarie dans certains quartiers parisiens, là où il y encore des Arabes et des Noirs, comme à Barbès. Mais nous, on dit que les barbares, ce sont ceux qui violent. Mais oui, je suis d’accord, ils cherchent à casser une dynamique qui saute par-dessus le périph’.

La convergence peut charrier avec elle son lot de récupérations politiques. Le Collectif justice pour Adama n’est pas venu à la marche à cause de ça, visiblement…

Ça m’a attristé que le collectif Adama Traoré soit absent, mais je comprends qu’ils protègent leur autonomie. C’est même un passage obligé. Dans le collectif Ali Ziri, certains membres de la famille étaient contre le fait de participer à de telles mobilisations. On respecte ce choix. Dans la prise de parole finale, je voulais citer toutes les victimes de la répression. J’ai demandé à Assa Traoré si je pouvais parler de celle qui s’abat sur eux depuis la mort d’Adama. Elle a accepté. Je pense qu’on va se retrouver. On est sur d’autres stratégies, avec des collectifs comme Vies volées, à l’initiative de Ramata Dieng, Urgence notre police assassine, d’Amal Bentounsi. L’idée serait de rassembler l’ensemble des familles en mettant en place un pôle juridique, un pôle psychologique, social… Amal Bentounsi a lancé l’Observatoire national des violences policières, qui va dans ce sens. On n’a pas besoin d’une seule organisation, ou encore moins d’un parti antiraciste, mais de coordination et de respect mutuel. Tout le monde va faire ses expériences et on va se retrouver par la force des choses, car les flics vont poursuivre leur sale boulot. Nous, on va continuer à écrire des histoires ensemble.

Propos recueillis par Bruno Le Dantec

« Le Nègre vous emmerde ! »

Les dreads blonds de Rémi Fraisse figuraient sur la banderole des familles, en tête du cortège du 19 mars. Le portrait du jeune écolo de Sivens était là parmi ceux de ses compagnons d’infortune Ali Ziri, Lamine Dieng, Wissam El-Yamni, Hocine Bouras, Morad Touat, Amadou Koumé, Amine Bentounsi, Abdoulaye Camara et Lahoucine Aït Omghar. Les parents de Rémi, mais également ceux d’Antonin, victime d’une vengeance judiciaire après les grèves anti-loi Travail, ont marché avec les mères, les frères et les sœurs des victimes de crimes policiers à caractère raciste.

Cette fraternisation a été un symbole fort lancé à la face d’une société prompte à placer les luttes antiracistes sous la suspiscion du « racisme anti-blanc », du « communautarisme », de l’« islamo-gauchisme » ou de l’antisémitisme… Le portrait du graffeur Michaël Cohen, mort noyé dans la Marne alors qu’il était coursé par des flics, aurait pu être là aussi. Celui de Liu Shaoyo, père de famille abattu par la BAC devant ses enfants, le sera bientôt. N’en déplaise à la malveillance médiatique qui, comme Le Monde, a préféré étaler en Une les divisions du mouvement le jour même de la marche. Ou Le Figaro, qui met « violences policières » entre guillemets et ne montre que des jeunes gens vêtus de noir au milieu d’un nuage de gaz lacrymo. Ou Libération, qui illustre son insipide compte-rendu du lendemain avec une photo très anecdotique d’un petit contingent de maoïstes philippins masqués et en treillis.

Comme disait Franz Fanon : « Le Nègre vous emmerde. »

B. L. D.
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