Lunettes sur le nez, sweet à capuche, sourire sympathique, le p’tit gars Lorànt Deutsch affiche le style cool du type sorti du ruisseau, flâneur amoureux de Paris, ville à laquelle il dédicace son Métronome – L’Histoire de France au rythme du métro parisien (Éditions Michel Lafon, 2009). Encensé par les médias, ce bouquin s’est écoulé à un million cinq cent mille exemplaires, et va être adapté en documentaire pour France 5.
Sauf que ce Métronome donne un drôle de tempo. Pour le comédien, « l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines. » Et il va de soi que « sans religion et sans foi, on se prive de quelque chose dont on va avoir besoin dans les années à venir. Il faut réintroduire la religion en France, il faut un concordat [1]. » Aussi ce catho royaliste nous offre-t-il dans son guide historique une vision bien à lui du passé.
Chez Lorànt Deutsch, l’histoire est marquée par les grands hommes. Pour les grandes femmes, on repassera ! Seule sainte Geneviève trouve grâce à ses yeux pendant que les autres, les Lutéciennes puis les Parisiennes, font du shopping (page 41) [2]. Une vision somme toute classique, développée tout au long des XIXe et XXe siècles [3], quand l’histoire était écrite pour célébrer les chefs de guerres, les rois, les saints…
Quant au peuple, « violent, sanglant » (4e de couverture), il ne pense qu’à grogner et se soulever. À Lorànt de lui réserver un traitement tout deutschien. Alors qu’il consacre huit pages à saint Denis, treize à sainte Geneviève, quinze à Pépin le Bref, la Commune de Paris et ses vingt mille morts sont résumés en un seul petit paragraphe ! En quelques lignes, il n’est pas question d’expliquer pourquoi le peuple parisien s’est soulevé en 1871. Tout au plus l’acteur évoque-t-il une « fureur populaire » venue d’on ne sait où, et des soldats rompant les rangs parce que « fatigués, démoralisés, déboussolés » (page 353). Mais il est vrai que le peuple a toujours été un peu bourrin : lorsque Geneviève, animée d’une « foi parfaite » (page 86), lance un appel contre les Huns – « l’envahisseur asiatique » (page 89) –, « les plus excités des Parisiens parlent […] de [la] jeter dans un puits, manière radicale de la faire taire » (page 87).
Par ailleurs, c’est sans vergogne que notre érudit fait remonter l’idée de nation aux plus anciens rois, la caractérisant dès le sacre de Pépin le Bref en 751 par l’union de « Dieu et [de] la Nation » (page 143) autour de la personne royale. Quelques pages auparavant, les Mérovingiens sont qualifiés de « fils aînés de l’Église » (page 99). Qu’importe au sieur Deutsch que cette expression n’apparaisse pour la première fois qu’à la fin du XVe siècle, et que l’idée nationale soit en grande partie une invention du XIXe siècle [4].
Qu’importe, car son livre est avant tout un pamphlet monarchiste. En témoigne ce passage, consacré à la colonne de Juillet, place de la Bastille : « La Commune de 1871 tente de [la] détruire, [elle] qui, pour ces républicains extrêmes [sic], reste un symbole d’alliance entre un souverain et son peuple. La colonne reste debout et la République aussi » (page 336). En deux phrases, le comédien réussit à associer République (menacée par les « extrêmes ») et monarchie constitutionnelle (l’alliance du roi et du peuple) à travers un monument. Raccourcis rejoués plusieurs fois dans l’ouvrage, où les édifices historiques sont autant de métaphores d’un pouvoir royal sans cesse menacé par les « fureurs révolutionnaires » (pages 49, 98, 108, 128, 139). On est loin, très loin, du flâneur sympatoche et amoureux de Paname [5].