Mais qu’est-ce qu’on va faire de Jean-Jacques Urvoas ?
Député quimpérois, Urvoas, les grandes oreilles du PS, résume à lui seul l’art de la politique sécuritaire du Parti socialiste. Plus fin qu’un Alain Bauer, ami personnel de Manuel Valls, mais trop bourrin. Lui, c’est tout en contrôle. Pendant la guerre d’Algérie, le mec aurait réclamé la présence d’un médecin pendant les interrogatoires. Aujourd’hui, il est l’architecte de la loi sur le renseignement. Président de la Commission des lois, il planchait déjà sur le dossier quand les massacres de Charlie Hebdo et de l’hyper Cacher accélérèrent son agenda. Le principe est simple : légalisation des poses de micros et de balises de géolocalisation ; surveillance des communications informatiques, notamment des réseaux sociaux ; collecte indifférenciée de données grâce aux « IMSI catchers », sortes d’antennes-relais qui surveillent les ondes.
Le texte s’accompagne du recrutement de 500 personnes à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) en plus des 430 déjà annoncées pour combattre la « cybercriminalité » (l’ex-DCRI comptera ainsi 4 200 agents en 2017), de 106 cyber-flics à la police judiciaire, de 100 pour les services de renseignements préfectoraux et de 500 dans le renseignement territorial. Cette armée de barbouzes informatiques sera contrôlée par une autorité administrative passant de trois à neuf membres. Merci Urvoas. Avec la possibilité de vérifier chez les hébergeurs si leurs « boîtes noires » fonctionnent bien (captation des sites web visités, vidéos, mails, recherches Goggle, bref, tout).
On l’a dit, Urvoas est de gauche. Il est même secrétaire national du PS en charge des questions de sécurité depuis 2009. À l’époque, il exultait contre le bling-bling sécuritaire de Sarkozy, sa politique du chiffre et ses mouvements du menton. Il dénonçait « la possibilité de fichage des opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales1 » des fichiers de police créés par Hortefeux en remplacement d’« Edvige ». Il contestait le « simplisme de l’illusion technologique », la « foi affichée dans la technique plutôt que dans l’humain », l’utilisation de la « vidéo-protection » comme « solution universelle justifiant la disparition progressive de policiers dans nos rues…2 ». Question : a-t-il depuis proposé au gouvernement Valls de supprimer les fichiers et les caméras de surveillance ?
À la lecture de la nouvelle loi, les esprits mal intentionnés penseront qu’il s’est rangé des bagnoles. Ils se trompent. On repère la différence profonde entre le style Urvoas et celui de la droite au goût qu’a le premier de légaliser des pratiques que ses prédécesseurs laissaient en « zone grise » – nuance ! Son CV de prof de droit constitutionnel explique également son talent de contradicteur en duels radiophoniques – avec ses mesures de contrôle a priori, a posteriori, administratif, judiciaire, par le Conseil d’État, par des magistrats habilités « secret-défense » ou par saisine des citoyens, etc. Finesses dialectiques dont la droite, avec ses « Vous en avez marre de cette bande de racailles », est incapable.
Retranché dans ses usines à gaz bureaucratiques, Urvoas peut multiplier les mesures d’espionnage : « Nos services auront besoin demain de moyens supplémentaires en raison de l’évolution technologique », avait-il prévenu en 20133. La dernière Loi de Programmation militaire – son fichage des passagers aériens, sa loi martiale numérique laissant au Premier ministre la possibilité de couper, techno-militari, n’importe quel serveur – n’était pas, selon lui, « liberticide4 ».
Mais la réelle plus-value de ce prétendant au ministère de l’Intérieur réside dans l’espionnage industriel et scientifique. Si son texte vise des zadistes dont « les violences collectives [sont] de nature à porter gravement atteinte à la paix publique », il sait qu’ils n’arrivent pas à la cheville des trois milliards d’euros de secrets industriels siphonnés par les hackers étrangers5. Son rapport de 2013 sur les services de renseignement proposait que ceux-ci, militaires et policiers, appuient les politiques d’« intelligence économique ». Par le pillage de données si besoin. Ainsi, « la France pourrait conforter sa compétitivité dans le cadre d’une économie mondialisée en état de guerre permanente ». Ce que sa loi sur le renseignement reprend ainsi : les services seront un « outil de compétitivité » contre ceux qui portent atteinte « aux intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France » (nucléaire, télécommunications, aéronautique, biotechnologies, etc.).
Si, malgré ses mesures d’acceptabilité et sa guerre économique, Urvoas n’accède pas au ministère de l’Intérieur lors du prochain remaniement, il pourra toujours continuer sa défense des « langues minoritaires » et du Parlement de Bretagne. Au risque d’être visé par sa propre loi comme un dangereux régionaliste menaçant « l’intégrité de la France » ?
1 Communiqué rédigé pour le PS, 19 octobre 2009.
2 Rapport pour Terra Nova, 2011.
3 Le Monde, 30 octobre 2013.
4 Le Monde, 8 janvier 2014.
5 La Cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale, rapport du sénateur Jean-Marie Bockel, 2012.
Cet article a été publié dans
CQFD n°132 (mai 2015)
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Paru dans CQFD n°132 (mai 2015)
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Mis en ligne le 23.06.2015
Dans CQFD n°132 (mai 2015)
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26 juin 2015, 21:20, par Zeck
J-J Urvoas est ce type de politicien sans enthousiasme et sans état d’âme qui sait se contenter de peu pour éviter le pire et engranger les acquis si modestes soient-ils.
29 juin 2015, 16:09, par PdV
Sans grandes oreilles, impossible de neutraliser les gogols mentaux qui suivent la mode du Djihad. Tu as vu ? Le FN est aussi contre la loi sur le renseignement...Ce souci des "libertés individuelles", ça rapproche les gens de façon parfois inattendue.
Au reste, nous sommes déjà fliqués au quotidien par le marketing du net : écris à un copain que tu vas aux Pays-Bas et à ta prochaine recherche, tu verras s’afficher sur ta page Google une pub pour le Gouda sur ta page Google. C’est autrement plus vicieux et intrusif que des vrais flics. Mais tout le monde s’en fout.
Non, le vrai problème avec Urvoas - et tous les zigues de son parti - c’est qu’il complique l’utilisation du mot "socialiste". Vallès et Lafargue pouvaient affirmer : "Nous sommes socialistes", et on comprenait tout de suite. Aujourd’hui, cette affirmation demande au préalable de se dissocier de ces notables sociaux-traîtres. Le hold-up verbal semble achevé : plus personne ne dit qu’il est socialiste sans rougir...de honte !