Dossier. Au-delà de Podemos : le pari municipaliste

L’agora des 100 jours

Par Ferdinand Cazalis.

Cadix. Un port vieux de 3000 ans dont l’imaginaire tourne plus volontiers autour du carnaval que des processions de Semana santa – et où entre ami.e.s on aime à s’appeler « ma foufounette » ou « petite bite folle » –, ne peut que réserver quelques bonnes surprises. En juin, après vingt ans de gouvernement municipal conservateur, une liste apparentée Podemos, Por Cádiz sí se puede, a raflé la mairie de cette ville de 150 000 âmes avec un taux de chômage de 42%. Le levante, vent qui, selon une rumeur locale, souffle la folie douce, semble avoir soulevé la terre où repose en lutte Fermín Salvochea, maire anarcho-cantonaliste de la fin du XIXe siècle.

En ce vendredi 16 octobre 2015, on a aligné des chaises sur la place du Palillero et les vieux et les vieilles du quartier s’y sont assis face à un pupitre et une sono sur une estrade basse. Les plus jeunes sont debout tout autour, et à 19h la place est bondée. Du jamais vu : trois mois après avoir pris la mairie, l’équipe municipale de Cadix vient rendre des comptes sur son action. José María « El Kichi » González, prof d’histoire de 39 ans bombardé maire, met tout le monde à l’aise : chacun de ses adjoints aura cinq minutes pour expliquer ce qu’il a fait et prévoit de faire, et après, micro ouvert pour les critiques et les propositions. Dont acte. Les styles sont très différents chez ces néo-conseillers sans expérience de gestion. Une trentenaire timide au Logement et à la Participation citoyenne ; un Varoufakis très technicien aux Finances ; un ancien syndicaliste aux accents de tribun chargé des employés municipaux ; aux Droits des femmes, une féministe aux cheveux mauves qui se vante d’avoir fait déboulonner une statue à la gloire d’une égérie phalangiste…

Une équipe courageuse de convoquer cette réunion publique sur la place du 15-M, exposée à toutes les critiques et altercations, sans portique ni service de sécurité. Quelques opposants sont là, mais rares, des applaudissements plutôt, et des ¡ Sí se puede ! Quand il est invectivé par un gars du port remonté contre le bla-bla, et qui demande ce qu’on a prévu pour les chômeurs longue durée, le jeune maire l’encourage à le rejoindre à la tribune. Sur cette agora de fortune, tout le monde est là pour s’exprimer sur la chose publique. On parle expulsions, boulot, police de quartier, tourisme, et les gens font des propositions concrètes. Un homme chenu prend le micro : « Le plus beau jour de ma vie, ça a été à la mort de Franco, mais dans cette ville, je ne pensais pas qu’on viendrait à bout de la droite. Je suis heureux d’avoir vécu assez longtemps pour voir ça. Maintenant, il faut se retrousser les manches. » Puis, c’est au tour de la représentante d’une organisation de chômeurs de la métallurgie : « Ici, la mort de l’industrie a été planifiée. Ils misent tout sur le soleil et le tourisme. » Depuis la tribune, après avoir rappelé que l’ancienne maire avait voté à Madrid le transfert de la réparation navale en Galice, un adjoint annonce qu’une coordination des mairies de la baie défendra bientôt l’activité portuaire. Cadix devra aussi résister aux menaces de l’État qui, après avoir laissé la dette se creuser pendant deux décennies, est soudain pressé de la mettre sous tutelle.

Par Ferdinand Cazalis.

Un exalté à l’allure flamenca s’empare du micro : « Le frigo est vide, y a pas de boulot, juste la démerde pour survivre, je chie sur la guardia civil, je chie sur les flics ! » Ce à quoi El Kichi répond, sourire aux lèvres : « J’engage la presse à noter que la mairie n’est pas responsable de tous les propos tenus ici. » Une vieille dame s’indigne : « J’ai travaillé trente ans en France et j’ai mon fils, sa femme et leurs enfants chez moi depuis qu’on les a expulsés de leur appartement ; et le gouvernement taxe ma retraite ! » Un étudiant propose : « Le vent et le soleil aussi, ils veulent les taxer, mais plutôt que des champs de panneaux solaires appartenant aux entreprises de toujours, on devrait développer des recherches pour l’autonomie énergétique, non ? » Alors que la tribune est envahie par celles et ceux venus encourager l’équipe d’une accolade, El Kichi est tout ému : «  Merci à toutes et tous d’être autour de nous, nous avons besoin de la chaleur de la rue ! »

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