Dossier. Au-delà de Podemos : le pari municipaliste

Corrala la bahía

Par Ferdinand Cazalis.

« Nous étions quatre familles de Cadix qui venions d’être expulsées. On a ouvert la Corrala La Bahía le 10 janvier 2015. J’ai été la première, l’instigatrice de tout ça ! », lance Stefania avec fierté. Jeune fille au look très quartier, elle a le parler clair, comme qui monte au combat par la force des choses. Elle nous reçoit dans sa mini-boutique de toilettage pour chiens. Comme beaucoup, même avec un emploi, elle ne peut faire face aux factures et au loyer.

En Andalousie, les immeubles vides occupés par des sans-toit sont rebaptisés « Corrala », en mémoire des anciens patios de vecinos où le petit peuple partageait les joies et les peines d’une vie souvent frugale. « Cet édifice neuf, propriété d’une banque, était à l’abandon depuis sept ans. Nous avons forcé la serrure avec l’intention d’y vivre tout en luttant pour obtenir un logement social. Aujourd’hui, nous sommes 28 familles, une centaine de personnes en comptant les enfants. »

« À l’origine, les appartements étaient prêts à la vente, tout équipés, mais après sept ans d’abandon tout avait été volé ou détruit, il manquait même des portes. L’installation électrique avait été arrachée et c’était le royaume des pigeons : on avait de la fiente jusqu’aux chevilles. Nous avons tout nettoyé, assaini, puis repeint. » Un client entre dans la boutique pour acheter des croquettes au détail et Stefania s’interrompt pour le servir. « La situation est difficile, on vit sans rien. Sans électricité, les enfants doivent faire les devoirs avant le coucher du soleil, on lave à la main, c’est compliqué de conserver les aliments. » Le loyer moyen à Cadix tourne autour de 500 euros, et ici, l’aide sociale est rachitique… « La majorité d’entre nous étaient locataires, trop dans la dèche pour “profiter” du boum de l’accession à la propriété… Parfois, on chambre ceux d’entre nous qui se prenaient pour des bourgeois avec leurs hypothèques. Mais nous devons rester unis, malgré nos origines différentes. »

Avant la crise, Stefania avait un CDI, mais à partir de 2008, elle et les siens se sont tous retrouvés au chômage les uns après les autres. « Je vis avec ma famille – mes parents, ma compagne et ses enfants. Pour nos aînés, c’est dur de dépendre des enfants pour survivre. Nous avions un an et demi de loyer impayé. La propriétaire n’avait plus d’autre option que nous expulser, mais avec l’aide d’un avocat d’office, la dette a été annulée. » Arrive la compagne de Stefania. Elles louent ce local commercial, mais la clientèle est si fauchée que souvent elles gagnent à peine de quoi payer le terme. « On vit au jour le jour. La mairie antérieure avait refusé de nous recenser, bloquant toute négociation. La nouvelle mairie intercède auprès de la banque, mais cette dernière nous ignore. Elle ne s’est même pas présentée à la convocation du juge. Alors on joue la montre. » Une plainte a été déposée pour occupation illégale, malgré les preuves d’abandon de propriété. « C’est aussi un délit de laisser des propriétés vides, car elles peuvent s’écrouler, causer des dégâts, mais nous vivons une période où l’argent est roi ! »

La Corrala, c’est aussi une école de socialisation. « Nous vivons pratiquement en communauté. Nous fonctionnons en assemblées pour résoudre les problèmes du quotidien et nous participons aux actions contre d’autres expulsions. » Stefania est heureuse du changement de mairie, car « c’est ma ville, et pendant vingt ans, j’ai vu beaucoup de corruption, et pas de travail. Les gens demandent des miracles, mais il faut du temps et un soutien fort de la population en faveur de notre mairie pour rendre possible des changements. »

L’urgence lui a forgé le caractère. « Mes parents me soutiennent. Je suis devenue très guerrillera, j’ai envie de me battre. Je tiens ça de ma grand-mère, qui militait dans une association de lutte contre la toxicomanie – mon oncle était junkie. Elle, elle s’est battue contre la drogue et tout ce monde-là. »

Dans La Corrala de la Bahía posté sur YouTube, les occupants, réunis autour d’un sofa sur le toit-terrasse, chantent leur cause entre scansion rap et chanson flamenca. On y découvre un collectif soudé, tendre, déterminé, qui rend hommage, en images entrecoupées, à la grande grève des chantiers navals des années 1990, quand les grévistes avaient affronté la police et bloqué le pont Carranza pendant plusieurs jours, isolant Cadix du reste du monde. « Si tu ne te rebelles pas contre l’État et les normes, tu seras soumise toute ta vie, comme une marionnette. Je pense que les gens devraient se révolter, nous vivons une dictature camouflée où tous les acquis de nos aînés sont rognés. Ce qu’on nous refuse, c’est la base : un loyer social en rapport avec nos ressources, car si on n’a pas un toit, tout manque. Nous voulons juste vivre dignement. »

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